Premier roman d'une québecoise (Catherine Leroux), voici La marche en forêt.
Ça démarre de façon plutôt déconcertante, déroutante, voire dérangeante : l'auteure nous balade d'un personnage à l'autre, quelques paragraphes sur l'un, et sans transition on change d'époque, de lieu, de gens et voici quelques pages sur une tel ou telle autre. Toutes et tous semblent rattachés par des liens familiaux : oncles, cousines, enfants et grands-parents, pièces rapportées, ...
Un petit arbre généalogique figure en début d'ouvrage que les plus timorés prendront soin d'imprimer comme point de repère dans la forêt généalogique de la famille Brûlé (un grigri superstitieux bien vain, un fil d'ariane talismanique très ténu, puisque tout le monde ne figure pas sur le schéma faussement rassurant !).
D'une page à l'autre, sans même changer de chapitre, sans indication d'époque et encore moins de génération, Catherine Leroux nous fait sauter trois ou quatre générations de haut en bas de l'arbre, nous fait passer trois ou quatre cousinages de droite à gauche dans les branches. Déconcertant.
Mais on s'accroche car on sent bien que la prose de Catherine Leroux est digne d'intérêt.
Et puis peu à peu, au fil des pages, on laisse tomber l'organigramme des Brûlés, on retrouve de loin en loin les mêmes figures qui deviennent plus familières, on se laisse bercer par le rythme erratique de cette saga familiale pas comme les autres, ...
Grâce à cette discontinuité, Catherine Leroux s'est affranchie et libérée de toute structure linéaire du récit, de toute intrigue, de tout 'sens' : elle peut alors ciseler chacune des petites scènes comme un bijou précieux, avec art, précision et poésie, une pièce unique insérée avec goût dans le collier foutraque de la famille Brûlé.
Et puis on comprend peu à peu ce que l'auteure nous propose : nous sommes avec elle au grenier, on pioche dans le carton des vieilles photos jaunies et mal rangées, on feuillette d'anciennes lettres cornées et mal triées.
Le mariage de l'une, la maladie de l'autre, la rancune des uns, les jalousies d'une autre, le bonheur des uns, le malheur d'un autre, les naissances et les morts.
Comme dans toutes les familles (et celle-ci est nombreuse, colonisation oblige) il y a des anges et des perles. Des niaiseux, des épais et des fatigants aussi. Pire encore.
Des secrets de polichinelle, des secrets qu'on va découvrir au fil des pages, des secrets dont on ne saura rien.
Et puis bien sûr, dès les premières pages on a été accroché et intrigué par la 'figure' ancestrale d'Alma. L'indienne, la chasseresse qui, chaque hiver, abandonne ses marmots et quitte son mari pour marcher dans la forêt et courser le gibier dans la neige, c'est plus fort qu'elle. Une maîtresse femme, c'est rien de le dire.
Plus tard, elle se fera poseuse de dynamite le long des rails du futur chemin de fer, au fil des routes de l'ouest. Ce n'est pas tout à fait Calamity Jane mais on l'appelle The Blowout Kid et elle n'est pas du genre à hésiter à embrocher le premier qui la serre d'un peu trop près.
Ses aventures du siècle avant-dernier, jusqu'à la Guerre de Sécession, ponctuent le récit et comme son nom ne figure pas sur l'arbre généalogique, on a hâte de découvrir ce qui peut bien rattacher aux autres Brûlés ce personnage mythique haut en couleurs !
Il faudra attendre les toutes dernières pages et la fin du roman (une fin mémorable) pour raccrocher ce dernier fil lumineux à la pelote tissée par Catherine Leroux.
BMR
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le 21 mars 2014

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BMR

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