Rudolf Höβ (renommé Rudolf Lang dans le roman de Robert Merle) est un jeune garçon tyrannisé par un père strict, versé dans la religion et qu’une faute de jeunesse a rendu à moitié cinglé. Rudolf – qui est le narrateur de sa propre histoire – souffre beaucoup en compagnie de ses deux jeunes sœurs et d’une mère totalement soumise aux lois drastiques de son odieux mari. Enfance de merde : aucune joie, aucun confort, aucune distraction, pas d’amour et beaucoup de contraintes et de devoir : Obéissance, Honneur et Patrie (tout ça dans l’ordre et avec des majuscules).
Le gamin bien barré dans la vie…
A la mort de son père – alors qu’il n’est âgé que de 15 ans – l’opprimé devient oppresseur : il est désormais l’homme de la maison et poursuit la politique d’austérité paternelle. Mère et frangines n’ont pas le temps de dire ouf.
Entre temps, la Première Guerre mondiale avait éclaté. Le jeune Rudolf, tombé tout p’tit dans la marmite de propagande patriotique ne pense plus qu’à une chose : s’engager et aller se battre au front. Il fera deux fugues pour rejoindre la frontière et sera raccompagné deux fois au domicile de sa mère : il est bien gentils votre môme madame, mais il est un encore un peu jeune. Pourtant, avant son seizième anniversaire, il parviendra à s’engager avec l’aide d’un capitaine de dragon attendri par la fougue de Rudolf. Et hop, sur le front en Turquie où on lui apprend à exterminer l’arabe.
A la fin de la guerre, il est démobilisé et va de galère en galère. Le Traité de Versailles laisse en 1919 l’Allemagne exsangue : la dépression est dramatique, le cours du mark ne cesse de dégringoler, les allemands n’ont plus ni travail, ni argent, ni charbon, ni plus rien à se coller sous la dent. Plus d’avenir. Un sentiment de haine monte chaque jour davantage et, avec lui, un immense désir de revanche.
Cette vague nationaliste fait les affaires d’un petit moustachu. En prison, il a écrit un livre qui a eu un certain succès. C’est ensuite, la création du parti national-socialiste auquel adhère notre jeune écervelé : pour un retour à la Grande Allemagne, pour prendre une revanche éclatante sur l’ennemi, pour régler le problème juif avant que les juifs ne s’occupent de régler le problème allemand. Car il en est persuadé, les juifs sont les pires ennemis de l’Allemagne et n’ont qu’une idée en tête : la détruire. Il faut dire, que depuis qu’il est gosse, on lui a bien bourré le mou au jeune Rudolf : son père – comme tous les pères de famille teutonne de l’époque – éduquait son fils dans l’antisémitisme le plus virulent. Jusque dans la Bible dans laquelle l’adolescent lit l’éternel leitmotiv de la responsabilité des juifs dans la mort du Christ.
Le jeune Rudolf est donc membre du parti Nazi au moment où la Seconde Guerre mondiale éclate. Grace à ses états de service en Turquie et plus tard dans les corps francs contre les communistes, il entre dans le conflit avec un uniforme de sous-officier SA, pour le troquer contre celui de la SS quand Heinrich Himmler vient en personne le recruter. Dès cet instant, Rudolf va grimper les échelons et se verra confier la tâche de créer et de diriger deux camps de concentration en Pologne près des villages d’Auschwitz et de Birkenau. Il travaille d’arrache-pied pour honorer les ordres reçus directement du Reichsführer. Le camp de concentration dont l’entrée s’orne de la mention « Arbeit macht Frei » devient ensuite un camp d’extermination. Encore une fois, Rudolf obéit avec zèle. « Mon honneur, c’est la fidélité » est la devise SS : aucun d’eux n’imaginerait un instant contester un ordre. Il a été recruté pour ses capacité d’organisateur, sa propension à obéir aveuglément et formé pour ne plus se poser de question dans l’exercice de sa fonction. Et le moins qu’on puisse dire est que Rudolf est un bon soldat. Il obéit, mais il prend aussi des initiatives : c’est lui qui a le premier l’idée d’employer le Zyclon B. C’est lui qui a l’idée de regrouper sur le même terrain les vestiaires, les chambres à gaz, les fours, les salles de dissection et les baraquements du personnel SS dédié afin de gagner du temps et ainsi d’optimiser l’éradication. C’est lui aussi qui organise des tests – sorte d’étalonnage – pour calculer les volumes optimum des chambres, les quantités idéales de gaz pour concilier coût et efficacité.
Robert Merle signe ici un livre bouleversant, magnifique et tout à fait effrayant. Certains passages sont très rudes bien qu’écrit avec la même distance que celle dont a usé Primo Levi pour écrire « Si c’est un homme ». Aucun sentiment dans ce livre. Des faits et rien que des faits. Confortablement installé dans notre fauteuil de lecteur, nous assistons à l’élaboration impitoyable de la Solution finale dans une indifférence ahurissante. Parfois, je relevais brutalement le nez, me rendant compte des horreurs que je venais de lire sans presque en avoir conscience. Car là est la force de ce livre : comme dans le cas de « Si c’est un homme » – livre avec lequel je compare volontiers celui-ci – le lecteur baigne dans une réalité parallèle, sans pathos, sans commentaire ni sensiblerie. Ni même de cynisme dont le commandant Höβ est incapable, tant il est froid, déshumanisé.
Un immense classique sur les heures les plus sombres de l’Humanité que nul ne devrait ignorer. A lire impérativement.
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le 1 avr. 2014

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