Benoit Fontaine nous raconte dans ce très court essai sa vision du naturaliste, et le cheminement que celui-ci suit au cours de sa vie. Car bien souvent il tombe dedans lorsqu’il est tout petit, et réalise son rêve de gosse: on le paye pour faire ce qu’il fait depuis toujours, à savoir observer et s’émerveiller du monde qui l’entoure.

L’auteur nous décrit un cheminement, un processus, presque universel, pour tous les naturalistes:
La connaissance des animaux commence invariablement par celle des grands mammifères, et elle est partagée par tous les enfants du monde: le lion, l’éléphant, la girafe, le tigre. Mais ces animaux sont rares, peu présents sous nos latitudes, mobiles, et tellement traqués qu’ils ont appris à se faire discrets. L’amoureux de la nature se tourne alors vers les oiseaux, plus faciles à observer, d’une grande variété, colorés, mélodieux… Les ornithologues sont les naturalistes grand public par excellence: on fait nos premières armes avec les guides, on découvre le plaisir de « cocher » une nouvelle espèce.

Puis on change radicalement de monde, pour entrer dans celui des invertébrés: papillons et libellules pour les insectes, coquilles de bivalves ou de gastéropodes pour les mollusques. Plus ardus à déterminer, mais aussi plus diversifiés. On entre enfin dans le domaine du professionnel: à part les naturalistes de métier, peu de personnes ne s’intéressent aux escargots tropicaux, aux vers marins, etc. Il n’existe d'ailleurs pas de guides exhaustifs et grand public sur ces groupes

C’est une sorte de phylogénie inversée que suit le naturaliste: du plus proche de nous aux plus éloignés ou insignifiants. La difficulté, la spécialisation, mais aussi la fierté augmente graduellement au cours de ce processus, car dans les groupes peu connus, on devient rapidement l’un des seuls spécialistes de son domaine, où beaucoup reste encore à découvrir. C’est la terra incognita des taxonomistes.

L’auteur étant lui-même chercheur au Muséum, naturaliste chevronné, il nous décrit ces drôles de personnages que sont les amoureux inconditionnés de la nature et dégage quelques traits caractéristiques. Le naturaliste déteste le tourisme de masse du genre safari en Afrique du Sud, regrette que les non-initiés n’aillent pas plus loin que les pandas et les baleines, et est fier de s’intéresser aux groupes méprisés ou ignorés (arachnologie ou parasitologie par exemple…). Bien évidemment avide de voyages et de nouvelles découvertes, le naturaliste est aussi conscient de la richesse de son propre jardin: tout est source d’émerveillement. Cela me rappelle la poésie avec laquelle Laurent Balesta prend le temps de photographier les bestioles qui lui tournent autour lorsqu’il passe des heures à décompresser de ses plongées profondes. Malgré son air un peu perché, le naturaliste voit et entend , sent parfois, des choses qui échappent au profane: « sur le chemin de sous-bois qui invite à la rêverie, l’ornithologue sait qu’il est sur le territoire d’un pouillot siffleur ».

Les observations à propos de ces drôles d’oiseaux sont bien vues, et ces flatteries devraient rappeler des souvenirs à plus d’un amateur.

La dernière partie vient assombrir le tableau: on a le droit au laïus habituel sur la dégradation de l’environnement, mais l’auteur évite heureusement la misanthropie crasse qui caractérise bien des « écolos ».Même si c’est pour tomber un peu plus loin dans l’anthropocentrisme primaire: « au nom de la protection du patrimoine de l’humanité, la biodiversité doit être protégée »…

Il s’agit d’un petit texte très agréable, qui rappelle de bons souvenirs à toute personne qui prend le temps d’observer les organismes qui l’entourent, qui nous conte quelques anecdotes comme seul un scientifique dans son genre peut vivre et qui flatte généreusement les amoureux de la nature.
Jifou
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le 9 nov. 2014

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