Le bus du boss et le pompiste, chronique d'une journée ordinaire

Mon boss possède un bus. À titre professionnel. Nous l’utilisons pour organiser des animations de rue. Plus qu’un bus, c’est plutôt un long camping-car. Une plaie à garer et manœuvrer.


Il était vendredi près de Neuilly. Le programme nous amenait lundi matin loin dans le sud de l’Ile-de-France. Nous redoutons les départs en week-end. Le boss l’avait parqué vendredi sur place. Je m’étais proposé pour le déplacer le samedi matin, à la fraîche. J’arrive sur site à 10h, 31 rue Schmol. Point de bus, il fait huit mètres de long et 2,6 mètres de haut, le tout est bleu roi. Pas facile à perdre le bestiau. Je cherche, j’appelle, on ne me répond point, j’abandonne. Par acquis de conscience, le laisse un message à une collègue, qui me lance sur une autre piste, le bus était jeudi soir au 31 rue Schmal, à côté, il y a peut-être confusion. Ok, j’y vais, je suis accueilli par une employée de la mairie, notre client. Il était bien là jeudi soir, au parking, non elle ne l’a pas vu. Par acquis de conscience, je vérifie, taquin, il aurait pu se cacher derrière la Clio de la secrétaire, il ne la point fait. J’appelle le commissariat. Monsieur l’agent, auriez-vous enlevé notre bus ? Non, il ne croit pas. Il vérifie longuement. Nous cherchons tous, point de bus. Le boss serait-il parti en week-end avec le machin. Peu probable, il se la joue plutôt motard. Nous cherchons toujours. Je crois en la puissance de l’intelligence collaborative.
- Où étiez-vous hier ?
- Je ne sais pas, mais je peux savoir, je dispose du planning.
- Alors ?
- Devant la fac.
- Mais ; c’est tout prêt.
- Ah oui, où exactement ?
J’aime les mairies, c’est l’un des rares endroits où l’on dispose encore de cartes routières en papier. Je déteste l’engouement contemporain pour le GPS, je n’accorde aucune confiance dans l’US Army. Nous trouvons la voie, qui se trouve être la continuation de la rue Schmol. L’impérieuse nécessité de donner des avenues à tous les morts importants contribue à prolifération des noms de rue.
- Bingo, le boss aura confondu la rue Schmol avec la rue de la fac.
- C’est très probable.
Je la sens ravie par l’heureuse fin de ma quête, nous aurons égayé, moi et le bus, sa matinée.
- Ce n’est pas loin, vous ne pouvez pas vous perdre.


De fait, quinze minutes plus tard, je suis au volant du bus. Il est midi trente. Un SMS du patron me signalait qu’il était assoiffé et que j’avais intérêt à faire le plein. L’ordinateur de bord m’annonce effectivement une autonome de 000 kilomètres. Ok. Trouvons une station-service. Pour connaître leur rareté, j’avise un autochtone, qui me signale pas moins de trois pompes avenue du Roule.


Les deux premières sont en sous-sol. La spéculation foncière a accéléré l’extinction des garages et autres stations-services, les rescapées se terrent. On les comprend. Par chance, je me souviens à temps de ma taille et fait marche arrière. Bon, tentons la dernière chance… elle est en rez-de-chaussée, mais est desservie par une chicane qui me la rend inaccessible, j’en pleurerais. Je m’immobilise. Bonne fortune aidant, la circulation n’est point trop dense, le bourgeois déjeune, à moins qu’il ne chasse à cette heure. Le pompiste est serviable, mais ignore où je puis trouver une station accessible à mon bahut.
- Mais comment font les autres ?
- Je ne sais pas.
Je comprends mieux pourquoi rares sont les Neuilléens à posséder des camping-cars, ils privilégient les manoirs et les relais de chasse. Ceci explique aussi le si petit nombre de forains, commerçants non sédentaires et artisans de cette ville. C’est par manque de gazole. Mon dealer de carburant est bien ennuyé. Que faire ? Par chance, je me souviens avoir, dans une autre vie, ravitaillé mon Land-cruiser au jerrican.
- Auriez-vous des jerrycan ?
- Des quoi ?
Manifestement, ce gars n’a jamais été soldat.
- Des bidons de vingt litres ?
- Non.
- De dix litres alors ?
- Non.
- Merde.
- Mais j’ai ça.
Le « ça » est un bidon-jouet du plus beau rouge de cinq litres, doté d’un bec verseur souple, indispensable si vous ne disposez pas d’entonnoir adapté. Je l’aurai embrassé, mais une pudeur virile m’en empêche. Grand seigneur, je lâche :
- Donnez-m’en quatre !
Ma prodigalité bluffe l’honnête commerçant. Entretemps, un chauffeur en livrée est venu ravitailler une BMW noire 750 i dernier modèle, toute de feulante distinction. Beau pays. Soucieux d’économiser les deniers de mon employeur, je calme un peu sa joie :
- Je crois que je vais en prendre qu’un, avec votre permission, je le remplirai cinq fois.


C’est long et salissant, mais je me souviens avoir nourri mon Land, en plusieurs occasions, à la bouteille de pinard d’un litre… Et Dieu, sait, qu’en brousse, le colosse picolait.


J’ai pris la route. Entretemps, les parisiens avaient fini de déjeuner et s’étaient tous donnés rendez-vous sur le périphérique, puis sur l’Autoroute du Soleil. C’est donc en bonne compagnie que j’ai transhumé, lentement, jusqu’à Massy-Cramoyel. Ceci-dit, je n’ai pas à me plaindre, j’ai trouvé deux places de parking contiguës relativement rapidement. La gare SNCF n’était point loin, mais juste cachée par un rideau d’arbre et je suis rentré sans encombre. Pas belle la vie !

SBoisse
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le 7 oct. 2017

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Step de Boisse

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