Je comparerais le second livre de Monsieur Marchal – d'origine namuroise et professeur de français - à une coupe du champagne que boirait un novice.

D'abord, ça picote, ça brûle. Sur le palet c'est la véritable bataille de Waterloo et on ne sait pas encore qui va l'emporter, les anglais ou les français.

Puis l'arrière-goût nous emmène, on fait la grimace, l'amertume nous dérange et on a qu'une seule envie : arrêter là le massacre et tout recracher, refermer ce livre plein de coquilles et au style d'écriture difficile à apprécier.

On fait un effort, on se dit qu'il faut tenir bon, encore quelque pages certes difficiles à avaler et puis peut-être découvrira-t-on une perle au fond du verre.

Puis...la surprise. C'est chaud, ça pétille dans l'estomac. On dirait presque les premiers émois amoureux, on s'identifie alors à Stan, ce pauvre cliché d'ado boutonneux invisible. Les papillons dans le ventre remontent jusqu'à notre gorge et là, c'est l'éclat. On rit, on ricane, on pouffe, on glousse.

Alors on en reprend, de ce si bon champagne, et on le fait rouler sur la langue. On se surprend à lire à voix haute et on ouvre les yeux. On savoure les bulles que sont les mots, l'amertume que sont le sarcasme des personnages et leurs tournures de phrases souvent crues qui, il faut l'avouer, ne peuvent pas plaire à tout le monde : « Je ne pousse même pas. C'est ça l'art de chier en prenant son temps. Quand on pousse, tout se passe si vite. Laisser le corps faire son boulot comme un grand, tout seul lui aussi. Ne pas faire à son cul ce qu'on ne voudrait pas pour soi-même : l'assister. » (p. 51)

L'aventure se partage entre quatre personnages assez singuliers mais qu'on pourrait facilement prendre pour le tenancier du café de la place du village, le serveur et les habitués du lieu.

Nous commençons avec le petit frère, cousin ou neveu en pleine crise d'adolescence, noyé dans sa naïveté (pour ne pas dire bêtise), complètement effacé même à ses propres yeux. Imaginez-le amoureux. Que peut faire Stan pour attirer l'attention de sa dulcinée ? L'impressionner par l'incroyable histoire de sa famille pardi !

Ensuite la grand-mère veuve et esseulée sur un banc du parc voisin et qui donne du pain aux canards. Vous la visualisez ? Elle perd un peu le Nord et elle radote sur le passé qui ne sera jamais plus. Vous savez qu'elle ne désire qu'une chose, l'attention de son unique petit-fils. Que faire ? Lui avouer le terrible secret de feu son mari, ancien espion au Congo !

Troisièmement, un de vos profs d'Histoire en humanités. Mais si, vous vous en souvenez ! Sinon prenez en un au hasard et transformez-le d'un coup de baguette freudienne en un professeur paranoïaque et tellement frustré sexuellement qu'il en vient à vénérer les ceintures de sécurité. En vérité il s'appelle Monsieur Floyon. Il est persuadé de voir et de comprendre des choses...que personnes ne veut voir ou comprendre. Surtout pas ses élèves qu'il méprise et qui le lui rendent bien.

Enfin, prenez le premier petit vieux aigri du home du coin, qui ne rêve que d'une chose : s'enfuir de cette prison qu'est sa dernière demeure et bouter le feu à la triste histoire de sa vie. Vous savez, celui plein de regrets, parfois de remords. Le vieux Joseph, il veut effacer les traces, se venger de lui-même et se faire pardonner des Cieux.

Tous les quatre partagent ceci : un amour inconditionnel (parfois considérablement déformé, voire obsessionnel, et systématiquement avorté) pour l'être aimé.
Leur solution : le livre « La tactique katangaise », quel que soit son état final d'ailleurs.
Le fil conducteur : le mensonge. Pour en sortir ou s'y enfoncer jusqu'au cou.

L'histoire comme le champagne vous monte à la tête, vous prend aux tripes et vous saute aux yeux. Etrangement, vous avez l'esprit plus clair. Quel meilleur moyen pour raconter l'histoire du Congo que de souffler quelques vérités en arrière-plan ? Cela nous titille, nous rend curieux. Comme un message subliminal à la télévision dont on aurait coupé le son. Tout ce qu'il reste c'est l'image nue. Du champagne à l'arsenic.

Entre quelques chapitres de romance paranoïaque et d'aventure douteuse (on ne se croirait même pas dans un film d'action à la Johnny English malgré ce que le titre pourrait laisser entendre), Monsieur Marchal nous lance une coupe de vérités bien senties à la figure, caustiques et douloureuses. Des personnages presque trop réels pour être vrai.

L'histoire a la couleur d'un coucher de soleil de printemps belge : gris et fade. Pourtant on ne peut détacher les yeux du spectacle pathétique de ces quatre personnes un peu folles, surtout désespérées de se faire reconnaître, d'exister. Et elle a également la clarté obscure d'une étrange mise en abîme. La bulle de champagne qui se reflète dans sa voisine, et ainsi de suite. Laquelle est vraie ? Quelle vérité atroce contient « La tactique katangaise » ?

On en redemande ! Et justement, Monsieur Marchal a précédemment écrit "Les conquêtes véritables" pour lequel il a reçu le Prix Première en 2009, tout aussi empli de dérision. Cela nous laisse le temps de savourer une dernière coupe de champagne rosé aigre-doux en attendant la sortie de son troisième roman.

Pour terminer, je dirais que ce livre est excellent à la santé. Cheers!

Nicolas Marchal, La tactique katangaise, Bruxelles, Editions La Muette et Le Bord de l'eau, 2011, 234p.
Melowcotones
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le 19 avr. 2012

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