Ça fait un peu mal aux cheveux d'avoir à mettre des petites étoiles de notation à Molière, quand même. J'aurais dû lui mettre 10, par simple respect, mais ça n'est pas ma pièce préférée de lui, alors j'en garde sous le pied pour les prochaines. Et pourtant, j'ai vu Lambert Wilson récemment dans le rôle-titre, et ça, ça valait 10, voire 12. Enfin bref, brisons-là, fi des considérations comptables, et retour aux alexandrins si fluides du maître (que tous les acteurs du casting n'ont pas respecté avec le même scrupule que Wilson, mais bon, il faut bien que le métier rentre...). Notre bon Alceste est une teigne, une vraie, toute pleine de son importance et arc-boutée sur son sens moral. Et comme il côtoie des courtisans, il a du grain à moudre et peut à l'envi casser du sucre sur le dos de ses contemporains, éhontément vils et rampants quand il s'agit de plaire pour grimper les échelons. Autant dire qu'on peut y retrouver bien des travers de bien des petits milieux qu'on fréquente au quotidien, et donc que les vers amers du héros ne tombent pas dans l'oreille de sourds. A bien des égards, on voudrait les apprendre par cœur pour les renvoyer dans les dents d'un supérieur intransigeant avec ses subalternes et sirupeux avec sa hiérarchie, ou plus simplement avec tous les faux-derches qu'on croise de temps à autre; ça aurait quand même plus de classe que la volée de sobriquets désobligeants qui viennent à l'esprit en même temps que la consternation causée par les mœurs du temps. Personne n'a probablement mieux formulé le dépit, l'ironie et le mépris éprouvé par l'homme de bien, dans le même temps qu'il épinglait l'orgueil démesuré de ceux qui justement se considèrent comme tels, se plaçant de fait au-dessus du commun des mortels. Ça méritait une pièce, évidemment, mais ça ne colle pas un moral d'enfer. Parce que ça laisse l'occasion de méditer longuement sur le peu de progrès accompli par nos semblables depuis 1666. Et aussi sur l'appauvrissement de la langue depuis lors. Un morceau de bravoure, donc.