Ce court texte opère un début de déconstruction (et non destruction) de ce qui fait la spécificité du nazisme, c’est-à-dire son propre aspect mythique. Il s’agit de ne pas faire un inventaire de tout ce que le nazisme a pu récupérer et déformer dans la culture, mais d’extraire une logique pour comprendre comment le nazisme s’est incarné, en partie, dans un mythe.


On l’aura compris, il s’agit de parler de l’idéologie, et surtout celle qui fonde un mythe pour assurer sa propre cohérence. Lacoue-Labarthe et Nancy commencent à partir d’Arendt, c’est-à-dire considérer que l’idéologie, c’est tout ce qui au service (au niveau du discours) d’une idée, idée qui expliquerait le monde entier, son histoire, résoudrait ses contradictions. L’idéologie nazie a beaucoup utilisé le concept de Weltanschauung, cette sorte de compréhension globale du monde, de l’humanité (et ainsi de savoir qui il faut exclure). Ce concept est bien entendu un conte, encore faut-il être disposé, philosophiquement, à l’entendre.



Il faudrait encore montrer comment l’Etat total est à concevoir en
fait comme Etat-Sujet […], de telle sorte que c’est, en dernière
instance, dans la philosophie moderne ou dans la métaphysique du Sujet que l’idéologie trouve malgré tout sa caution véritable :
c’est-à-dire, dans cette pensée de l’être (et/ou du devenir, de
l’histoire) en tant que subjectivité présente à soi, support, source
et fin de la représentation, de la certitude et de la volonté..



En effet, pour se prétendre fasciste (cela va bien au-delà du nazisme), il faut avant tout se penser sujet, et sujet qui serait sa propre fin, se suffisant à lui-même, et surtout pouvant produire une volonté "libre" qui engagerait le sujet dans les projets que lui prépare l’État fasciste, cet État total. Ainsi, comme le diront un peu plus loin les auteurs, toute une idéologie du Sujet, "ce qui, peut-être, n’est qu’un pléonasme" (héhé). Il serait aussi possible de dire que finalement, toute idéologie, tout mythe est avant tout idéologie du Sujet, car pour pouvoir souscrire à tout ce propose une idéologie (consciemment ou pas), il faut déjà se sentir sujet suffisant à soi-même, se penser être quelque chose de bien défini pour enfin s’identifier à quelque chose qui concerne la représentation que le sujet se fait de lui-même.


Et c’est ici qu’intervient le mythe. Les auteurs insistent sur le fait que l’Allemagne a eu beaucoup de difficulté à trouver une identification mythique, un modèle. Là où la France ou l’Italie l’on découverte dans l’Antiquité, a travers la Renaissance. Il a fallu pour les Allemands chercher longtemps pour la trouver dans une Grèce dionysiaque primitive, refoulée par un caractère apollinien. Cette recherche acharnée montre, a cette époque, la nécessité de s’identifier aux Anciens, et par là d’atteindre à une identité qui se réaliserait dans l’art, et surtout démontrait a quel point l’Allemagne n’avait pas de Sujet. Grâce au manque du Sujet, nous pouvons voir le mécanisme dans sa "pureté". Avant tout, une identification (mimesis) aux Anciens pour se donner un Sujet, et la réalisation de cette identification dans le mythe, notamment par l’art.



le national-socialisme n’a pas simplement représenté, comme le disait Benjamin, une "esthétisation de la politique " […], mais une fusion de la politique et de l’art, la production du politique comme œuvre d’art



Ainsi cette identification amène le peuple allemand à se percevoir comme une œuvre d’art et donc de produire ladite œuvre (ce qui sera le programme politique du national-socialisme).


Cet aspect de production (où plutôt d’auto-production) est souligné par le discours nazi quant à la réalisation du mythe national-socialiste. Pour ce discours, le mythe est vivant, il se réalise dans chaque individu constituant le peuple. Ainsi il n’y a pas d’utilité réelle a se retourner vers Wotan, Odin etc…, ils se réalisent de nouveau en le peuple allemand. Le mythe ici produit car il affirme une identité (et donc une différence avec les autres peuples), avec tout ses projets de conquête futures. Il est évident que tout cela tient du conte (du fait de l’identification mimétique), de la manipulation, manipulation d’autant plus efficace que si elle a pour fin elle-même, comme c’est le cas avec ce mythe qui cherche à s’autoproduire ("La manipulation des masses modernes n’est pas seulement une technique : elle est aussi une fin, si, en dernière instance, c’est le mythe lui-même qui manipule les masses, et se réalise en elles.").


On parlait de déconstruction, notamment pour voir que le mythe nazi s’appuyait sur l’existence du sujet. Ainsi de tels mythe peuvent toujours exister de nos jours, et ce même si ils ne prennent pas forcément cette forme. Notre époque est certainement bien trop dissolue et fragmentée en différent champ de savoir spécialisés pour qu’une Weltanschauung ait sa place. Cependant il reste toujours le Sujet, et nous pouvons voir comment la consommation, entre autre, le sollicite.



Nous tenons seulement à souligner combien cette logique, dans le double trait de la volonté mimétique d’identité, et de l’auto-effectuation de la forme, appartient profondément aux dispositions de l’Occident en général, et plus précisément, à la disposition du sujet, au sens métaphysique du mot. Le nazisme ne se résume pas à l’Occident, et il n’en est pas non plus l’aboutissement nécessaire. Mais il n’est pas non plus possible de simplement l’écarter comme une aberration, ni comme une aberration simplement passée.


Heliogabale
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le 15 avr. 2015

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