On lit peu Francis Jammes. On en a retenu quelques pages, des vers à grossir les anthologies de langue française, un nom qu'on entend, en retrait, qu'on confond souvent et auquel on s'arrête, rarement. Enjambant XIXe et XXe siècle, il n'est ni tout à fait de l'un ni tout à fait de l'autre et reste ainsi dans l'ombre de ceux qui incarnent cette période et qui l'ont, pourtant, reconnu comme l'un des leurs. Gide, Rilke, Kafka sont de ceux-là.


Jammes n'est pas à la ville. Son oeuvre n'est pas traversée par les problématiques socio-politiques qui agitent son temps, sinon indirectement, de loin comme lui, toujours de loin, préférant contempler les frimas de l'aube que le feu des poudres à canon. Il est un peu à côté. Il passe, le corps, l'esprit ailleurs et la plume aussi, toujours, en vadrouille. On trouve peut-être dans son oeuvre, jusque dans les années 1920, les dernières pages qu'écrivit le XIXe. Dans Le Poète Rustique notamment. Somptueusement.


On ouvre ce livre sans que rien ne nous y ait tellement incité. C'est un ouvrage poussiéreux laissé à l'abandon sur une étagère qui ne l'est pas moins. Et ce sont bien ses pages qui sentent bon la terre trempée de brouillard et le vent froid qui s'engouffre dans l'envolée de la cheminée. Jammes nous laisse au coeur d'un arrière-pays qui appartient presque à un arrière-monde mais qui n'a rien d'arriéré puisqu'il respire encore, plus ou moins apaisé, et que tourmentent les enfants, nombreux, la mort, évidemment présente, la bêtise et la cruauté, sans doute.


On n'a pas fait cent mots qu'on est déjà soufflé par une écriture, pas rustique, pas commode pour autant, qui s'épand dense de sons coulants, ignorés et qui ne craint pas d'évaster la corbeille du langage. La prose de Jammes est parcouru d'un sens du rythme, toute construite autour de périodes si justement agencées et qui se répondent l'une l'autre. On lit la phrase. On la relit et c'en est déjà une autre. Le Poète Rustique est un texte court, gourmand de consonnes et de voyelles, où les images éclatent à l'oeil qu'est dans la bouche dans une clarté, une simplicité qui ne sont dues qu'à l'extrême économie de moyens dont il fait preuve. Qu'on se contente de parcourir le bref chapitre quatre pour s'en convaincre.


Le Poète Rustique saisit si vite si fort "qu'on en demeure épanoui". Mélancolique et tout drôle à la fois, c'est un p'tit gars qui gagne à être connu.

AristideLg
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le 6 nov. 2016

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