C'est un livre triste, mes amis. C'est bien simple, je l'ai lu il y a plusieurs semaines et, rien que d'y repenser pour cette critique je ressens à nouveau cette espèce de frisson nostalgique, vague malaise né du réalisme de l'écriture. Journaliste, Buzzati a en effet acquis le regard du quotidien. Conteur, il le tord dans des rêves inachevés, des cauchemars refoulés ou de simples fièvres passagères.


Ne vous attendez pas à des déluges d'horreur ni à des descriptions de créatures dégueulasses (quoique...). Le fantastique de Buzzati est celui des détails du monde réel, ces événements un peu louches, ces sensations fugitives qui nous font douter, juste un instant. Presque des faits-divers mais du genre qui ne se retrouveront jamais dans nos journaux.


Les (nombreuses) nouvelles de ce recueil sont courtes. Souvent même micro-nouvelles, tournant autour d'un même thème, le regret, la peur de la mort, la solitude. Les personnages sont des incompris, tourmentés par des anomalies, des petits décalages déments qui ne font que cristalliser un mal-être qui ne parvenait pas à s'exprimer autrement.


Buzzati utilise beaucoup la prosopopée pour faire enfin parler les animaux, les objets ou les absents qui ne pouvaient plus se taire. Mais, bien souvent, ils se taisent trop tôt. Maintes nouvelles ont ce petit goût d'inachevé, frustrant, qui laisse le lecteur perplexe: "qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de ça ?". Et comme il ne parvient pas à répondre à cette question, il ne lui reste plus qu'à se laisser étreindre par cette tristesse diffuse dont je parlais au début...


Parfois, mais plus rarement, Buzzati en fait trop, comme avec cette histoire de jeune femme à qui il pousse des ailes. Difficile de trouver un équilibre. Et pourtant, au milieu de tout cela, deux vrais petits chefs-d'oeuvre.


Crescendo. Une micro-scène d'une banalité affligeante (on frappe à la porte, mademoiselle Motleri va ouvrir la porte), se répète plusieurs fois. Chaque version est un peu plus dure, un peu plus effrayante que la précédente, jusqu'à plonger dans la pure horreur existentielle. Du grand art.


Clair de lune. Quatre pages durant lesquelles un homme quitte un instant l'ennui de son doux foyer pour profiter de la fraicheur nocturne de son jardin. Et là, c'est tout un monde de splendeur sélène qui cherche à lui parler.


Ce sont les deux nouvelles qui résument tout, celles qui justifient la lecture de ce livre intriguant qui, sinon, serait resté dans un inconfortable entre-deux.

Amrit
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le 27 févr. 2017

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