Naissance de ma nièce. 18 ans, ça me file un coup de vieux.

A l'époque, j'étais sur mon lit, la jambe cassée, en train de réviser mes fiches pour le Bac français.

Ma prof de français, une belle femme, la cinquantaine naissante, chignon blond et regard bleu qui vous fusillait sur place, romantique et passionnée, volcanique et colérique aussi, parfois, venait m'apporter des bouquins. Lorenzaccio, Le Parfum, et d'autres...

Je me souviens de mon premier cours avec elle. Elle avait posé une question: d'où vient le mot "nana"? Vide intersidéral dans la salle. Silence embarrassé. La colère montait en elle. Je tente ma chance, d'un timide "C'est un roman de Zola?". Son regard s'est illuminé. Je me suis rendu compte, un peu plus tard, que j'étais un peu amoureux d'elle. Je le suis encore un peu. Elle m'a appris à aimer lire en tous cas.

De ma liste de Bac, je garde Baudelaire (qui siégeait auprès de Balzac et Voltaire). Le Spleen... Ce terme m'était obscure, envoutant. Au début, je le croyais d'origine anglaise. J'y pense à chaque coup de vague à l'âme. Je suis tombé sur la deuxième partie du Vieux Saltimbanque.

Petit extrait, afin de vous envoyer spleener:

"Tout n'était que lumière, poussière, cris, joie, tumulte; les uns dépensaient, les autres gagnaient, les uns et les autres également joyeux. Les enfants se suspendaient aux jupons de leurs mères pour obtenir quelque bâton de sucre, ou montaient sur les épaules de leurs pères pour mieux voir un escamoteur éblouissant comme un dieu. Et partout circulait, dominant tous les parfums, une odeur de friture qui était comme l'encens de cette fête.

Au bout, à l'extrême bout de la rangée de baraques, comme si, honteux, il s'était exilé lui-même de toutes ces splendeurs, je vis un pauvre saltimbanque, voûté, caduc, décrépit, une ruine d'homme, adossé contre un des poteaux de sa cahute; une cahute plus misérable que celle du sauvage le plus abruti, et dont deux bouts de chandelles, coulants et fumants, éclairaient trop bien encore la détresse.

Partout la joie, le gain, la débauche; partout la certitude du pain pour les lendemains; partout l'explosion frénétique de la vitalité. Ici la misère absolue, la misère affublée, pour comble d'horreur, de haillons comiques, où la nécessité, bien plus que l'art, avait introduit le contraste. Il ne riait pas, le misérable! Il ne pleurait pas, il ne dansait pas, il ne gesticulait pas, il ne criait pas ; il ne chantait aucune chanson, ni gaie ni lamentable, il n'implorait pas. Il était muet et immobile. Il avait renoncé, il avait abdiqué. Sa destinée était faite."
Philippe_Delaco
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le 3 juin 2014

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Phil Dela

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