Le Veda
7.2
Le Veda

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1800 avant J.C., dans le nord du territoire appelé aujourd'hui « Inde ». La brillante mais déjà déclinante civilisation de l'Indus vivait en paix, sous le soleil, dans des cités élégantes et fonctionnelles (l'égout existait déjà, contrairement à certains coins de l'Inde moderne...) et... bon, on ne sait pas trop ce qu'ils faisaient, en fait, parce que cette civilisation est assez mal connue. Mais on peut dire, d'après les ruines de Mohenjo-daro et de Harappa que ces gars kiffaient tranquillement la vie sans chercher d'emmerdes.

Et puis l'envahisseur arriva. Des Indos-européens (ils étaient partout, à l'époque !) qui se font appeler « aryens » et qui foutent le bordel en détruisant les villes pour imposer leur mode de vie plus... rustique dirons-nous. Et ils imposent aussi leur religion, le vedisme, via un Livre sacré qu'ils sont lentement en train d'élaborer. Le corpus de ce Veda ne sera complété qu'un millénaire plus tard, peu avant la naissance du Bouddha. C'est dire s'ils ont pris leur temps ! Alors... sommes-nous devant l'équivalent Indien de la Bible hébraique ?

Et bien pas vraiment en fait. Celui qui chercherait des contes mythologiques ou des réflexions philosophiques serait assez déçu dans l'ensemble. Jean Varenne présente ici une sélection de textes védiques et non le Veda tout entier, ce dont on lui sait gré puisque ce dernier est si épais (des milliers et des milliers de pages) que personne, même en Inde, ne l'a jamais lu entièrement. Pour les trois-quarts, le Veda sélectif de Varenne, c'est des kilomètres d'hymnes (samhita), qui louent les multiples divinités du védisme appelées à presque totalement disparaitre quand cette religion se transformera en brahmanisme puis en hindouisme. Nous avons donc: « Tu es le plus puissant, Indra », « Apporte-nous la richesse, Agni », « Ecrase nos ennemis et fais-les piétiner par des éléphants épileptiques, Varuna », etc. Autant être franc: certains hymnes sont très beaux et offrent des images de gloire et de puissance divine véritablement impressionnantes mais le tout demeure très répétitif et noyé sous des clichés poétiques pas toujours très édifiants. Les dieux sont tous comparés à des taureaux ou des vaches, ou encore à du suc, du beurre clarifié, ou toutes sortes de trucs pas forcément très sexy. L'objectif de ces prières est pratiquement toujours le même: demander la richesse, la prospérité, la puissance. Pour ainsi dire la seule obsession de la majorité du Veda, bien loin de toute la spiritualité hindouiste postérieure empreinte de pessimisme matérialiste et de dégoût du monde. Les Aryens aimaient la vie et en jouissaient manifestement, à tel point que l'on peut se demander comment la transition entre la vieille et la « nouvelle » religion s'est effectuée. Des éléments de réponses sourdent pourtant à travers les lignes de ce Livre sacré, pour le chercheur courageux.

Tout d'abord, chaque hymne tend à « absolutiser » le dieu pour lequel il a été écrit, en dépit de toute hiérarchie divine, pourtant bien existante. Ainsi, s'il n'est pas étonnant de voir vénérer Indra ou Mitra en tant que grands principes universels, il est toujours étonnant de lire des phrases emphatiques pour des divinités mineures telles que « rien ne te vaut, rien ne te dépasse ô dieu des cailloux ». Ha bon ? Mais tu viens de dire la même chose pour les 8 dieux précédents ! Il s'agit là sans doute de formulations poétiques stéréotypées mais peut-être aussi des débuts de l’hénothéisme, ce faux polythéisme qui se présente comme la multiplication d'un principe divin unique. Dans l'hindouisme, ce principe porte le nom de Brahman, et l'on peut déjà trouver ce nom dans certains hymnes spéculatifs au sein de ces pages...

En dehors des samhita, le Veda est aussi constitué de trois autres types de textes:

- les brahmana, commentaires sur les sacrifices. La classe sacerdotale commence à se poser des questions et à justifier les éléments rituels des différents sacrifices dans un jeu de comparaisons (telle matière est utilisée parce que cette matière est tel dieu) dont la complexification aboutira, au fil des siècles, à l'équivalence ultime, début de l'hindouisme véritable: l'âtman (âme humaine) est équivalente au Brahman (âme du monde). Si dans le fond cette étude est passionnante, dans la forme elle est pratiquement insupportable: des pages et des pages détaillant le plus anecdotique des aspects du sacrifice car, oui, tout y passe, jusqu'à la forme des cuillères ou le nombre de tessons devant servir à la cuisson d'un brouet ! Une des choses les plus ennuyantes qui me fut donné de lire de toute mon existence, c'est peu dire.

- les aranyaka, textes destinés à la lecture solitaire en forêt où la réflexion philosophique véritable commence enfin à pointer le bout de son nez. Hélas, on ne trouve pratiquement rien de tel dans cette présentation du Veda par Jean Varenne, qui a apparemment préféré remplacé ces aranyaka par des textes descriptifs de sacrifices aussi assommants que les brahmana !! Autre supplice de ma vie de lecteur, vous pouvez me croire...

- enfin, les upanishads, qui justifient à eux seuls l'intérêt qu'on porte au Veda. Il s'agit des textes philosophiques à proprement parler. Si tout le reste a pratiquement été oublié et n'est plus vénéré que de très loin par les Indiens d'aujourd'hui, les upanishads représentent la genèse de la spiritualité indienne moderne, hindouisme et bouddhisme compris ! Véritablement passionnants et indispensables à tout chercheur de vérité, il faut toutefois avouer que ces textes sont disponibles dans d'autres livres qui rendent l'achat de ce Veda pas franchement indispensable.

Plus document archéologique que véritable Livre sacré, le Veda, malgré la vénération de pure forme que lui portent les Hindous d'aujourd'hui, est tombé presque totalement dans l'oubli, upanishads mis à part. Si l'on découvre au gré de sa lecture la naissance d'une des plus vieilles spiritualités au monde, il faut toutefois savoir que ce sera dans la douleur et l'ennui, la plupart du temps. Une lecture qui ne sera donc indispensable qu'à l'acharné spirituel qui, comme moi, voudra absolument goûter aux origines de ses croyances (au point de lire ce Veda 2 fois, si, si !) tandis que les autres se tourneront aisément vers d'autres oeuvres infiniment plus riches et abordables (Bhagavad-gita, Samkhya-karika, Upanishads seules,...).
Amrit
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le 26 mars 2013

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