Dans son souci d’étendre à des activités lentes et qui impliquent de l’approfondissement – comme la littérature – son souci d’aller au plus pressé, et aussi de thésauriser sur ce gain de temps, notre époque fournit aux lycéens et aux étudiants des « Profils d’une œuvre » (1), « Foliothèque » (2) et autres « éditions avec dossiers » (3)… Quand tu travailles sur Michel Tournier, de telles babioles sont inutiles : le guide existe, s’intitule le Vent Paraclet et est écrit par Tournier lui-même. (Oui, ça pose la question de l’honnêteté. Il suffit d’en avoir conscience, et Tournier n’est pas le plus malhonnête des écrivains.)
Un début tourné du côté de l’autobiographie, une suite qui traite des romans écrits par Tournier avant 1977 (le Roi des Aulnes, les deux Vendredi et les Météores) et une fin faite de considérations générales sur la littérature, la philosophie, la vie… : on trouve à boire et à manger dans le Vent Paraclet. (En vérité je force un peu le trait : la structure de l’essai n’est pas étanche à ce point.)
J’ai trouvé la partie « mémoires » assez faible, notamment parce qu’elle est probablement ce qui s’y trouve de plus daté. L’époque a beau être démystifiée (4), ceux qui la traversent ne le sont pas, d’où parfois un côté souvenirs du show-business – les années d’études, la fréquentation de Nimier ou Lanzmann, l’enthousiasme d’étudiants en philosophie de l’immédiat après-guerre… Disons qu’elle a le mérite de mettre les choses dans leur contexte – contexte qu’il faut lui-même remettre dans le contexte du Vent Paraclet, c’est-à-dire d’un texte qui parle de son auteur.


Ce que ce dernier dit de ses romans présente davantage d’intérêt. Bien sûr, un lecteur un peu familier de Tournier y trouvera sans doute des remarques qu’il aura lui-même faites : sur le « rez-de-chaussée enfantin du mythe » et « son sommet métaphysique. » (p. 188), par exemple, ou sur « la fascination de la super-chair gémellaire » qui constitue « la source première des Météores » (p. 243), ou encore sur la machinerie du roman, qui fait de son auteur son « sous-produit, ce que l’œuvre fait sous elle en se faisant » (p. 184). Et cela ne rend pas indiscutables les idées exposées : Tournier considère par exemple que le cinéma exige un spectateur au comble de la passivité – mais peut-être n’a-t-il vu que de mauvais films. Je passe encore, par charité, sur « l’inceste et l’homosexualité » associés (!) comme « copies maladroites » de la gémellité (p. 254)…
Mais ce que Tournier laisse comprendre vaut plus que ce qu’il se contente d’écrire. Que l’auteur considère le mystère et la précision extrême des mots comme « les deux attributs essentiels de la poésie » (p. 14), par exemple, éclaire ce qu’il peut y avoir d’anti-musical dans les phrases de Tournier. De même, on y trouvera une théorisation richement illustrée – et pas toujours rassurante pour le bon père de famille – de la fascination pour l’enfance qui court dans le Roi des Aulnes et dans les Météores
Quand je disais que le Vent Paraclet vaut tous les autres « Profils » qu’on voudra imprimer…
Cela dit, mon avis est celui d’un lecteur venu à Tournier par le biais de la littérature. J’ignore ce qu’en penserait celui qui l’aborde via la philosophie.


(1) Pourquoi profil, d’ailleurs ? Une œuvre ne se présente-t-elle pas de face ?
(2) Qu’est-ce que ça veut dire ?
(3) On attend les éditions avec dossiers des dossiers…
(4) « la Résistance n’est devenue un phénomène d’ampleur qu’après le départ des Allemands. Pendant l’occupation elle ne fut le fait que d’une infime minorité de héros que leur courage vouait au massacre et que leur désintéressement devait détourner de la course aux places à prendre après la Libération. » (p. 79-80)

Alcofribas
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le 3 mars 2017

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