« Pour l’essentiel il ne s’agit pas de critique mais de portraits » (p. 28-29 de l’édition de poche), c’est-à-dire qu’il s’agit de critique dans un sens très large : il est très peu question de livres dans le Défilé des réfractaires, car Bruno de Cessole fait sienne l’idée qu’« un écrivain, c’est d’abord un tempérament » (p. 415). Des tempéraments, on en trouve ici, classés par ordre alphabétique (1), mais il faut croire que les femmes en manquent singulièrement, dans la mesure où seules défilent Colette et Catherine Pozzi (2), qui semblent être les dames de service – sans jeu de mots –, aussi bien que Cioran ou Kundera sont les amis d’Europe de l’Est qu’on a invités parce qu’ils ont su s’intégrer : pour Bruno de Cessole, il semble qu’on ne puisse être réfractaire qu’à condition d’être un homme blanc de peau venu d’un pays qui n’a jamais été colonisé… C’est l’un des visages de l’approche de droite qu’il revendique, une droite moins libérale que conservatrice, et moins conservatrice que réactionnaire (3).
On trouve ainsi, çà et là, quelques notations qui semblent extraites d’un discours de député LR (« en homme de droite, c’est-à-dire en homme libre », p. 202), d’autres qu’on pourrait entendre dans une « Manif pour tous » (les « amours contre nature » de Fargue, p. 249) ou à l’Action Française (« l’imposture intellectuelle des Lumières », p. 449, le « gauchisme » comme « maladie infantile », p. 505) et des considérations récurrentes sur le « deuxième sexe » (p. 370), « sexe faible » dont on « goût[e] en gourmet la compagnie » (p. 354) – expressions que Cessole emploie manifestement sans la moindre ironie… Du reste, on pourra être lassé des considérations telles que « Ne jamais être là où on l’attendait, telle fut l’une des constances de cet inconstant qui ne détestait rien tant que le caveçon des étiquettes, le carcan des idées reçues, et les rails du conformisme » (p. 353) : elle qualifie en l’occurrence Jacques Laurent, mais pourrait somme toute s’appliquer à une bonne moitié des « réfractaires » évoqués.
Mais si on retrouve dans ce Défilé… les représentants habituels de la droite monarchique, ultracatholique, hussards ou autres, il semble moins évident de leur associer Aragon et Cendrars, Debord et Genet, Sartre et Stendhal… De fait, les portraits les plus intéressants sont clairement ceux qui interrogent le caractère de droite de tel ou tel : ainsi de lire que « tel un personnage de Pirandello, il [Genet] s’évertua à ressembler au portrait que Sartre avait tracé de lui » (p. 268), ou de comprendre en quoi Giraudoux mêle filiations spartiate et athénienne. Certaines pages – il y en a quelques-unes ! – font l’impasse sur la politique : il y en a de très belles sur Gracq ou sur Vialatte, comme il y a de très beaux titres de portraits – « Aragon, l’hidalgo rouge » ou « Cioran, l’athlète de la désillusion »…


(1) On trouve Aragon (!), Marcel Aymé, Barbey d’Aurevilly, Barrès, Berl, Georges Bernanos, Bloy, Céline, Cendrars, Chateaubriand, Cioran, Paul Claudel, Colette, Dantec, Léon Daudet, Debord, Déon, Dupré, Dutourd, Fargue, Bernard Frank, Genet, Giraudoux, Gracq, Gripari, Sacha Guitry, Jean-Edern Hallier, Houellebecq, Joseph Joubert, Kundera, Larbaud, Jacques Laurent, Léautaud, Malraux, Modiano, Paul Morand, Muray, Nabe, Nimier, Ormesson (!), Péguy, Catherine Pozzi, Queneau (!), Raspail, Rimbaud, Dominique de Roux, Sachs, Sartre, Segalen, Stendhal, Suarès, Thibaudet, Tillinac, Vialatte et Volkoff.


(2) Et encore, c’est pour y lire que « Montherlant […] admirait peut-être en elle [Colette] moins une consœur qu’une sorte de confrère » (p. 183), ce qui ne manque pas de sel quand on connaît leurs goûts respectifs… Quant à Catherine Pozzi, « elle était femme d’abord, et comme telle abandonnée aussi au caprice, à la coquetterie, à la frivolité, aux séduisants défauts qui, de toujours, les font aimer des hommes » (p. 454). Le portrait qui lui est consacré s’intitule « Catherine Pozzi, de l’ovaire à l’absolu » – si encore Houellebecq avait eu droit à « Des testicules au désenchantement » ; mais non, lui, c’est « Le Zarathoustra des classes moyennes »…


(3) On sera ravi d’apprendre que « le colonisateur » est à mettre au rang des « figures fantasmatiques » (p. 506-507)… En revanche, je ne ferai pas de procès d’intention concernant le caractère exclusivement francophone des écrivains peints dans le Défilé des réfractaires : l’Internationale des francs-tireurs, du même auteur, en est le pendant internationaliste.

Alcofribas
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le 20 déc. 2017

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