En avril 2011 à Nantes, une mère et ses quatre enfants sont retrouvés enterrés dans le jardin familial, abattus de deux balles dans la tête. Le mari, Xavier Dupont de Ligonnès, restera introuvable. Quelques semaines avant la découverte macabre, il a résilié le bail de la maison, clôturé les comptes bancaires, prévenu employeurs et institutions scolaires que la famille s’en allait, et surtout, écrit une lettre surréaliste à ses proches annonçant une exfiltration précipitée par le gouvernement des États-Unis, dans le cadre du programme de protection des témoins : la famille sera désormais injoignable (et pour cause…)


Cette affaire criminelle est l’une des plus extraordinaires de ces dix dernières années. L’émission Non élucidé sur France 2 y a consacré un excellent épisode, malgré son présentateur insupportable.


En revanche, le livre écrit sur l’affaire par deux journalistes ne vaut pas le détour, n’apportant guère de valeur ajoutée par rapport au programme de France Télévisions. C’est sans doute un bon résumé pour ceux qui ignoreraient tout, mais les autres seront déçus par le manque d’éléments nouveaux. Il faut reconnaître, à la décharge des auteurs, qu’il s’agit d’une instruction toujours en cours, ce qui implique un verrouillage du dossier d’où filtrent très peu d’informations.


Malgré cela, le récit souffre d’une construction chronologique et thématique bancales qui nuisent à l’immersion. Il n’est pas bien écrit, ses effets de style pour tenir en haleine tombent à plat. Mais surtout, il s’éparpille en détails insignifiants, à l’image de ces longs copié-collé de mails pas forcément pertinents. Les auteurs se contentent d’aligner les éléments factuels liés au crime sans proposer d’analyse poussée. Rien à voir par exemple avec le livre de Guy Hugnet sur l’affaire Raddad.


Si l’on prend notamment la théorie abracadabrante de la fuite organisée par la DEA, à laquelle la sœur du suspect croit dur comme fer, il existe de très nombreux arguments pour la démonter. Xavier Dupont de Ligonnès décrit un scénario fantasmé qui n'a rien à voir avec la réalité des méthodes policières. En quoi un petit commercial de province aurait le profil pour infiltrer le milieu de la drogue, quand on sait que c’est une tâche majoritairement dévolue à des policiers ou des criminels repentis (cf. ce vrai travail de recherche) ? Pourquoi dépendrait-il des services américains pour une action sur le territoire français ? Pourquoi les autorités auraient enquêté sur sa disparition, alors que la version officielle, soufflée par les services américains, est un départ en Australie ? Pourquoi dans ce cas enterrer les cadavres d’autres personnes pour faire croire à un massacre ? Où se procure-t-on les corps d’une mère et de ses quatre enfants correspondant aux caractéristiques physiques de la famille à protéger ? Toutes ces questions qui ébranlent la thèse délirante de la sœur ne sont pas posées. Même si les journalistes ne la partagent pas, ils n’opposent qu’une contre-argumentation minimale à son conspirationnisme.


Il y a aussi des analyses incohérentes. Un sous-chapitre avance qu’il n’est pas absurde de croire que l’auteur des faits est vivant et qu’il a planifié sa disparition, au motif qu’il a procédé à des retraits d’argent avant sa fuite (p.189), mais en même temps au motif qu’il a effectué des dépôts (p.186), c’est contradictoire. Les auteurs prennent aussi l'exemple de la lettre où Xavier Dupont de Ligonnès demande à son beau-frère de s’occuper de son actualisation Pôle emploi, cela serait l'indice d’un acte préparant une cavale. Mais comment une personne qui avait toutes ses chances de se faire rechercher aurait pu bénéficier de cet argent ? D’ailleurs y a-t-il touché ? On peut tout aussi logiquement penser qu’il a voulu alimenter la crédibilité de son histoire d’exfiltration. Ou encore, qu'il a changé d'avis en cours de route et opté pour le suicide.


L’ouvrage aurait gagné à avoir une iconographie plus fournie (un plan des lieux, une carte de la cavale, une frise chronologique) et à donner davantage la parole à des experts, pour entre autres interpréter la psychologie du personnage avant son passage à l’acte. L’abondante littérature laissée par le père et les précédents judiciaires en matière de drame familial (l'affaire John List, l'affaire Jean-Claude Romand) permettent d’avoir des pistes de réflexion intéressantes.

J_J_
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le 23 avr. 2017

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