Léon Bloy
Léon Bloy

livre de Hubert Juin (1957)

Méditations sur un solitaire en 1916, 1945, 2019, etc.

Peut-être étudiera-t-on un jour en détails la réception de l’œuvre de Léon Bloy. Il s’agirait notamment de savoir pourquoi « Tout hérisse, tout rebute chez lui et pourtant, en vertu de la loi mystérieuse de la coïncidence des contraires, il attire et fascine le lecteur le plus rétif à ses obsessions » (Bruno de Cessole, le Défilé des réfractaires).
Hubert Juin – envers qui tout amateur de littérature fin-de-siècle se doit d’être reconnaissant – l’écrit d’emblée : « Cet essai sur Léon Bloy est, également, un essai sur moi-même » (p. 7). Ce qui fournit peut-être déjà un élément de réponse : pour ses lecteurs, parler de Bloy amène très facilement à parler de soi. Ce n’est pas le cas de tous les classiques, loin de là. J’ignore d’où ça vient. Est-ce une forme de mimétisme, Bloy se conformant, qu’il le veuille ou non et sans doute plus que tout autre écrivain, à l’axiome posé par Villiers de l’Isle-Adam et qui veut que « lorsqu’on écrit, quel que soit le sujet, on ne fait que parler de soi-même » ? Bref.
Une autre idée, que Juin n’a pas manqué de relever, fournirait un autre type d’explication : l’histoire n’a pas démenti l’auteur d’Au seuil de l’Apocalypse. Autrement dit, « nous sommes les premiers lecteurs de Léon Bloy, car il fallait, pour aborder une pensée aussi délibérément eschatologique, une telle œuvre voisine de l’Apocalypse, avoir connu les grandes années de la dernière guerre, avec leur cortège d’horreurs, de haines, et leurs fastes concentrationnaires » (p. 18). Comme plus d’un essai sur Léon Bloy (cf. par exemple la Fureur du Juste de François Angelier), celui-ci relève l’importance du thème de la douleur chez l’auteur du Mendiant ingrat. Mais Hubert Juin le relie presque explicitement à l’histoire du xxe siècle : « un panorama concentrationnaire donne à cette œuvre une lumière fastueuse : œuvre de douleur, elle s’approche dans la douleur et par la douleur » (p. 14).
On peut encore lire l’œuvre et la vie de Bloy comme une vaste tentative de comprendre l’incompréhensible. En l’occurrence, un incompréhensible suscité par Dieu, mais je gage qu’une telle expérience n’est pas sans similitudes avec celle qu’éprouvèrent tous ceux qui, comme Hubert Juin (1926-1987), furent, les premiers dans leur genre, confrontés « à tous ceux-là – à cette multitude – qui perdirent leur vie dans les cendres de Dachau, de Buchenwald, de Mauthausen, et pour l’absence desquels témoignaient ces spectres débarqués vers 1945, “par un demi-clair matin”, des premiers convois de cette libération douloureuse » (p. 7). Il me semble que si Bloy trouve encore aujourd’hui non seulement des lecteurs, mais des lecteurs qui ne vont pas à la messe, alors c’est en partie pour cette raison.
Juin, pour sa part, écrit son livre « au seuil de l’Église » (p. 7 ; du reste le thème du seuil, de l’entre-deux, est récurrent dans l’essai). Cela en conditionne-t-il vraiment le contenu ? Je n’en sais rien. Je ne suis pas sûr non plus que « la clé de Léon Bloy, c’est l’année liturgique seule qui nous la donne » (p. 15-16). En tout cas, j’eusse aimé trouver dans l’essai quelques extraits du Journal qui m’en convainquissent (ouais, convainquissent…).
Car c’est le seul défaut – mais d’importance – de ce Léon Bloy : ne s’appuyant sur aucun passage précis, il reste d’une manière générale très allusif. Les idées fortes (mettons encore celle-ci : « il faut principalement s’étonner que […] toutes ces circonstances d’écriture et de vie aient cependant constitué ce pur monument de parfaite orthodoxie qu’est l’œuvre de Léon Bloy », p. 38) y sont très peu liées entre elles, mais livrées comme en vrac, principalement en début de volume.
Serais-je sévère en disant que ce court essai finit par avoir l’air d’une pile de brouillons ? Qu’aurait dit de tout cela l’auteur de l’Archiconfrérie de la Bonne Mort ? Il existe une carte postale de Dornac qui le représente, tirée de la série « Nos contemporains chez eux » (1), sous laquelle il a ajouté « Je ne suis pas un contemporain & je n’ai jamais été chez moi. Alors… zut ! »


(1) Chouette série, d’ailleurs. Les cartes consacrées à Verlaine le représentent… au bistrot !

Alcofribas
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le 19 juil. 2019

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