Le rôle des femmes à l’époque des grandes dynasties est souvent survolé dans l’apprentissage de l’Histoire, et l’ouvrage propose une approche intéressante, en rappelant qu’elles furent souvent très occupées à faire circuler la culture dans leurs royaumes. C’est un fait important, méconnu en des temps où nos lectures dépassent à peine l’ère post-Révolution et un XIXe siècle où les hommes prennent les beaux rôles sans grand partage. Dans un monde donc, où la noblesse régnait, où les femmes de haute naissance recevaient une instruction très complète qui devait les préparer à gouverner leur domaine en temps de guerre, après la mort de leur époux et à éduquer leur héritier, elles suivaient de près les nouvelles découvertes. L’essai fait état d’une bibliothèque qui n’a cessé de s’enrichir sur trois générations. La période est idéale. Nous sommes en pleine Renaissance, des auteurs grecs et arabes, délaissés au profit des latins pendant le Moyen-âge, bénéficient enfin de traductions qui entraînent la découverte de nouveaux textes, la médecine progresse, on se passionne pour la navigation et les contrées exotiques, on philosophe avec Platon et on réfléchit à une nouvelle manière d’être chrétien. Sur ce sujet, les princesses de Navarre ont quelque peu semé la pagaille. Tout commence avec Marguerite de Navarre qui donne à réfléchir aux idées en vogue en rédigeant L’Heptameron et se poursuit avec sa fille – Jeanne d’Albret – qui prend la tête du mouvement protestant en France et implante la Réforme calviniste sur ses terres. Sa fille, Catherine de Bourbon, épouse ensuite Henri IV. Se pencher sur les ouvrages et avancées culturelles qui ont accompagné la vie de ces trois dames pourrait difficilement manquer de pertinence.


Néanmoins, le sujet reste ardu, et si je préfère donner un rapide résumé pour aborder cette critique, autant dire que plonger dans la thèse de Damien Plantey sans préparation ni bonne connaissance du sujet ne sera pas simple. Mes bases sur la question n’étaient pas d’une grande précision et, surtout assez lointaines. J’aime cependant me retrouver confrontée à des sujets d’études qui me permettent d’exploiter des savoirs laissés à l’abandon dans un coin de ma mémoire. J’ai lu et étudié L’Heptameron avec un intérêt modéré en dernière année de licence, mais, plus amusant, j’ai visité le château de Pau dont il est souvent question dans le livre un jour où j’étais de passage dans cette ville. J’aurais finalement préféré faire l’inverse car je manquais à ce moment de connaissances et n’en ai gardé que des souvenirs épars. L’ouvrage a un côté inventaire et descriptif assez rébarbatif qui donnerait parfois envie de le poser pour aller observer les choses par soi-même. Malgré des illustrations bienvenues au fil des pages, il est assez difficile, voire peu intéressant pour un lecteur ordinaire, de se représenter avec précision la composition d’une pièce et les éléments qui la composent. Le sous-titre «Livres, objets, mobilier, décor, espaces et usages » ne ment pas. Il sera malheureusement davantage question d’énumérations que de détails et aventures sur la vie des princesses. Des anecdotes sont heureusement là pour raviver l’intérêt et agrémenter la lecture, mais nous restons dans une thèse, avec les exigences et inconvénients que cela implique et qui ne permettent pas d’aborder le texte au même titre qu’un ouvrage historique. Avoir le produit « brut » publié peut décourager un public plus large, et sera d’un intérêt limité pour les nombreuses personnes qui s’intéresseront davantage au rôle du livre dans la vie politique du XVIe siècle qu’au mobilier détaillé des bibliothèques de princesses. L’autre inconvénient de ce format est sa mise en forme qui n’est pas du tout linéaire. Il faut s’accrocher et se familiariser avec la chronologie et les personnages du siècle que l’on traverse car, comme tout projet de recherche sur un sujet très délimité, le texte est découpé par thématiques, ce qui entraîne sans cesse des bonds temporels d’une génération à l’autre, chose assez peu confortable.


Si ces aspects arrivent à ne pas rebuter, Les Bibliothèques des princesses de Navarre au XVIe siècle est à savourer petit à petit, et on plongera avec plaisir au cœur de châteaux Renaissance encore plein de vie. Il y est question du livre échangé comme une arme politique (offrir le moyen d’acquérir un savoir nouveau était sans prix), un moyen d’acculturation du peuple (en particulier pour les amener sur la « juste voie » du culte protestant en ce qui concerne Jeanne d’Albert), ou comme bonne distraction de cour, avec les pièces de théâtre que la lecture de mythologie greco-romaine ou romans de chevalerie pouvaient inspirer. On y découvre des hommes et femmes très proches de nous, qui aiment s’identifier à leurs héros préférés, se déguiser, passent des heures à exercer leur logique sur des jeux de stratégie (dames, échecs), collectionnent de beaux objets auxquels ils attribuent une forte valeur symbolique, car le cabinet de librairie rassemble tout ce qui stimule l’esprit et fascine l’imagination. Le fait que l’auteur se concentre sur leur inventaire fera un peu regretter le passage rapide sur les « usages » de tous ces trésors d’un autre âge. Cependant, beaucoup d’éléments piquent la curiosité sans la satisfaire complètement. Pour une immersion encore meilleure, de citations d’époque émaillent le texte. Si certains pourront être ennuyés par des phrases de type « ung escriptoire de boys couvert de bert », j’ai trouvé presque amusante l’impression d’entendre les voix de l’époque à travers des passages assez courts pour être compréhensibles sans retenir trop péniblement l’attention.


Un beau sujet d’étude, qu’il faudra davantage apprécier en tant que travail de recherche que livre d’Histoire. On en ressort avec un certain nombre de réflexions nouvelles, l’envie de poursuivre la découverte avec d’autres études, ou la visite de châteaux Renaissance pour mieux appréhender les descriptions.


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Barbelo
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le 8 juil. 2016

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