Jan Y Nilsson ne vivait que pour la poésie. Il était l’un de ces auteurs qui à l’instar de Rimbaud s’était reconnu poète et avait la rage d’écrire envers et contre tout, malgré les souffrances physiques et morales que son obstination lui avait occasionnées : son père l’ayant maudit et chassé du domicile familial, il avait longtemps vécu dans le plus parfait dénuement, possédant à peine de quoi se nourrir, vivant de la charité de quelques amis. Après des années de galère, il avait fini par trouver une maison d’édition qui avait cru en ses œuvres, même si celles-ci ne connaissaient qu’un succès d’estime. Depuis, il vivait chichement dans un bateau de pêche à quai dans le port d'Helsinborg. C’est là qu’en lui rendant visite, son éditeur Karl Petersén le découvre pendu, dans une macabre mise en scène suggérant le suicide. Se pourrait-il que Jan Y, qui s’était laissé convaincre d’écrire un roman policier promis à un bel avenir, n’ait finalement pas eu le cœur de trahir son idéal poétique ? Très vite cependant, les premiers soupçons assaillent l’éditeur ainsi que le commissaire Barck chargé de l’enquête. C’est que, pour diverses raisons, la parution prochaine du roman ne faisait pas que des heureux et il se pourrait qu’on ait voulu à tout prix empêcher sa sortie…


Si on en croit Jan Y, les bases d’un bon polar sont « une intrigue, avec un assassin, un policier et une enquête ». Mais on en conviendra, c’est là juste le minimum syndical et heureusement pour nous, le roman de Björn Larsson contient bien d’autres ingrédients propres à accrocher le lecteur. Tout d’abord, une atmosphère un brin déprimante, comme tout polar scandinave qui se respecte. Pluie incessante, rafales de vent, neige fondue, soleil qui se couche à 14 heures : en ce mois de février, il ne fait vraiment pas bon s’attarder dans les rues de ce coin de Scanie. Si vous êtes fans des romans de Mankell ou d’ Indriðason, vous vous retrouverez ici en terrain connu.


Les protagonistes de cette intrigue retiennent particulièrement l’attention. Il est rare que dans un récit policier, le personnage le plus attachant soit celui dont on parle à l’imparfait, en l’occurrence la victime. Très vite, j’ai été séduite par Jan Y, être charismatique, admiré voire adulé par ceux qui le côtoyaient, poète maudit qui jamais n’avait dévié de son chemin, aussi ardu fût-il, quelles qu’aient été les difficultés rencontrées. Jan Y était non seulement un homme passionné entièrement voué à sa quête poétique, il était en outre écœuré par les injustices sociales, ce qui l’avait poussé à accepter d’écrire un polar politique dénonçant la corruption d’un système où les riches ont toujours le dessus, dénonçant des pratiques hélas courantes de nos jours comme celles des parachutes dorés. Il était enfin un être tourmenté à l’idée de trahir ses idéaux, fût-ce pour des raisons honorables.


L’autre personnage qui suscite la sympathie est l’inspecteur Barck, sorte d’alter ego de Jan Y. Comme ce dernier, Barck écrit des poèmes – certes d’une qualité nettement moindre - qu’il aimerait voir publier ; comme lui, c’est un révolté qui ne croit plus en la justice de son pays, un homme désabusé qui a quitté la criminelle des années auparavant pour rejoindre la police maritime, parce qu’il ne trouvait plus de sens à son métier d’enquêteur.


On l’aura compris, si l’intrigue policière constitue bien la trame principale du roman, ce dernier développe de nombreux thèmes connexes qui contribuent à son originalité: l'écriture - avec une belle mise en abime, et plus particulièrement la poésie, à propos de laquelle l’auteur se livre à des considérations qui ne manquent d’ailleurs pas d’intérêt, le monde de l’édition, la fracture sociale qui menace nos sociétés où seuls comptent désormais le profit et les lois du marché, les scandales politico-financiers… Hélas, le revers de la médaille, c’est que pas mal de digressions viennent alourdir le récit et nuisent à sa cohérence, même si on ne perd jamais vraiment de vue le fil conducteur. Autre bémol, j’ai deviné un peu vite qui était l’assassin ainsi que le mobile du crime – mais c’est peut-être un coup de bol. Malgré cela j’ai pris plaisir à lire ce roman original qui change un peu de l’image qu’on se fait habituellement des polars nordiques.

No_Hell
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le 10 août 2017

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No_Hell

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