Il est difficile de faire un roman sur l'Antiquité, et même les universitaires qui s'y essaient se plantent régulièrement (voir par exemple l'ennuyeux "La louve et l'agneau" du vénérable Lucien Jerphagnon). Avec une exception sublime, bien sûr : "Salâmmbo". Mais bon, c'est Flaubert.
Etant spécialiste de cette période, je prends rarement plaisir à lire des tentatives de reconstitution, car je passe plus de temps à relever ce qui ne va pas qu'à me laisser porter par l'histoire.
Ici, au moins, pas de risque. L'ouvrage se présente comme une édition de tablettes de buis écrite par une aristocrate romaine de la deuxième moitié du IVe s. ap. J.-C. Ces tablettes mélangent des pense-bêtes hermétiques, des réflexions personnelles, des anecdotes de cercle littéraire, la tenue des comptes domestiques et des anecdotes érotiques.
L'introduction à base de fausse érudition est fort convaincante, tout comme les quelques notes de fin de volume qui soulignent des difficultés de traduction. Quignard s'est fort bien inspiré d'auteurs comme Symmaque, Claudien, pour reconstituer la vie quotidienne de cette aristocratie richissime de Rome, qui continue de se préoccuper de littérature classique alors que les barbares sont aux portes et que le christianisme progresse. Encore l'introduction surestime-t-elle les progrès du christianisme, qui ne parvint jamais à établir de véritable ordre moral à Rome.
Je suis assez peu sensible à l'esthétique du fragment, et j'ai regretté d'avoir lu ce livre seulement en pointillés, si bien qu'aucune des anecdotes ne surnage vraiment, mais certains passages confèrent une impression d'étrangeté, d'un mélange de sensualité, de crudité et de dureté (qui n'exclue pas une recherche spirituelle), si bien qu'à défaut de prétendre avoir tout saisi, on a envie d'y revenir.