Christian Ingrao directeur de l’institut d’histoire du temps présent et professeur entre autre à l’Ecole polytechnique, nous livre ici l’étude d’une nouvelle compagnie d’unités de soldats sous le régime nazi, après entre autre la très célèbre étude de Christopher Browning (« Des hommes ordinaires »), celle de la brigade Dirlewanger (du nom de son commandant) formée en 1940 et considérée comme une des plus brutale et meurtrière.
Christian Ingrao nous propose ici une étude approfondie de cette brigade semi SS, tout d’abord en faisant un récit approfondis des différentes affectations et zones d’actions de la brigade, dans les premiers temps cantonnée en Pologne pour former des membres puis qui de 1942 à 1944 séjourna en Biélorussie afin de lutter contre les « partisans » (groupes de rebelles biélorusses la plupart du temps des gens de la régions qui décident de lutter contre l’occupant nazi) et enfin un retour progressif vers l’ouest en passant par la Pologne après la poussée soviétique (1944-1945).
Ensuite C.Ingrao nous expose en une grosse vingtaine de pages qui est cet Oskar Dirlewanger ? Connu que des spécialistes ou des grands amateurs d’histoire du IIIe Reich. Et il montre que comme beaucoup d’hommes de son époque il fut très marqué par la première guerre mondiale (aspect de la fameuse brutalisation de George L.Mosse ?), en 1936 il rejoint l’Espagne et la fameuse légion Condor pour combattre « aux côtés » de Franco et en revenant rejoint la Waffen SS (branche militaire de la SS) et Ingrao pour marquer la présence importante de la guerre dans sa vie note « Au total donc, 1è années de guerre, le tiers de sa vie biologique, plus de la moitié de sa vie adulte », et même pendant les années il continua de se battre notamment contre des factions communistes. Oscar Dirlewanger a aussi été très marqué par le militantisme, notamment après la guerre dans les associations étudiantes de l’université (celles nationalistes à tendance raciste pour D), puis au sein de groupuscules d’extrêmes droites en accord avec ses conceptions (racisme, anti sémitisme, dénonciation traité de V, peur de la chute de l’Allemagne, anti communisme…) dans lesquelles on trouvait certaines futurs grandes figures du régime nazi comme Heydrich lui-même ! (futur directeur de la Gestapo), et rejoins la NSDAP dès 1923 ! Et comme pour la composition des hautes sphères de la SS qui était constituée d’intellectuels, Oscar Dirlewanger, qui sera considéré comme un des hommes les plus violents et cruels était lui aussi un « intello », docteur en science politique, encore preuve de l’attrait du nazisme quelle que soit le groupe social. Dirlewanger fut aussi pendant longtemps dans sa vie considéré comme un marginal, même par ceux de son « bord », et fit entre autre de la prison et souvent accusés de pratiques douteuses (vol, détournement financier, affaire de mœurs…), il eu aussi toute sa vie un problème avec l’autorité.
Ingrao nous a donc montré le cas de Dirlewanger, qui est particulier, très marqué par la guerre, aux conceptions extrêmes, marqué depuis « toujours » par la vie militante et en position d’exclusion sociale.
Mais un des cas les plus intéressants est la partie où C.Ingrao évoque les raisons pour laquelle les membres de la brigade ont suivi ses ordres quels qu’ils soient, et il insiste ici sur trois axes. Le premier étant le pouvoir charismatique qu’il pouvait exercer sur ses troupes, un peu ressemblant à celui que Ian Kershaw illustre dans son livre « Hitler, essai sur le charisme en politique », mais bien sûr d’une puissance beaucoup moins importante. Dans les procès de certains après guerre un nombre important a insisté sur le fait qu’ils ont commis des crimes car devaient obéir à leur chef quelles que soit leurs positions, mais en fait une étude approfondie a bien montré que la plupart des troupes étaient véritablement sous l’influence de D et étaient véritablement « sous le charme » de leur chef, et il montre qu’une proportion assez conséquente continua en fait de « soutenir » les faits et la personne de leur chef après la guerre. Puis Ingrao insiste sur le fait qu’une discipline arbitraire et très brutale était en place, donc sans doute pour certains une raison pour ne pas trop faire part de ses réticences, pour illustrer cela Ingrao nous donne le témoignage d’un juge SS de l’unité, Bruno Wille : « Il y avait un ordre secret qui conférait à Dirlewanger de décider de la vie et de la mort de ses hommes sans tribunal » et on a le chiffre de 3% par an d’individus mort pour sanction disciplinaire, ce qui montre qu’une minorité avait quelques réticences au fonctionnement de la brigade, et cela encore plus aggravée à la fin de la guerre avec des désertions de plus en plus importantes.

Une autre partie très intéressante (la plus ?) est celle où Ingrao étudie les raisons de la création de la brigade, décision qui vient des plus hautes strates de la hiérarchie nazie notamment Hitler et Himmler, avec la volonté dès le départ de créer une brigade composée à l’origine de braconniers et autres chasseurs (d’ailleurs pas novateur, Ingrao cite l’exemple d’un tel groupe déjà sous Frédéric II de Prusse et d’autres pays d’Europe. avec jeu sur le ying et yang, le chasseur et son double « maléfique » le braconnier), censés être plus efficaces dans les activité de reconnaissances et dans milieux difficiles. Ingrao se demande aussi comment cette idée a pu germer dans l’esprit des dirigeants nazis, et met en lumière les pratiques de Goering et Himmler qui étaient très portés sur la chasse, et particulièrement intéressés par leur attitude et comportement, mais groupe qui était très stigmatisé (considérés comme des sauvages) dans la société de l’époque (cruauté…) mais qui pour les dirigeant nazis une telle cruauté (supposée) pourrait être utile dans la guerre à l’est face à des individus censés être inférieurs (qualifiés d’animaux) et utile face à des individus menant une guerre de « guérilla », et notamment une sorte de passage du chasse aux animaux à une « chasse à l’homme ». Cette unité a notamment été louée pour son efficacité par les dirigeants, même si leur extrême cruauté a souvent été dénoncée (villages incendiés, massacres de population…), et je vous conseille de lire pour ce livre pour voir l’importance des massacres effectués, parfois d’une cruauté particulièrement extrême… avec notamment ce chiffre effarent de 60 000 victimes en 4-5 années.
Ingrao essaye de aussi de voir les liens qui peuvent unir cette guerre à la chasse, avec ce fameux chapitre 5 intitulé « une guerre cynégétique ? ». Il essaye d’abord étudier le rapport entre activité cynégétique et la guerre dans « l’imaginaire et les pratiques nazies », et montre notamment l’action de cette brigade, qui à la base s’occupe du renseignement (identification et évaluation de l’ennemi) considéré comme la « chasse noble », puis de faire des ratissages équivalents de « chasse à la battue » dans un cadre forestier et face à des ennemis se cachant et les partisans vu comme des gibiers à chasser.

J’en reste là pour l’explication du livre, je n’ai pas et de loin abordé tous les thèmes de cet ouvrage mais je laisse le soin à ce qui le veulent d’approfondir ces axes.

Pour résumer, ce livre est vraiment superbe, et aborde plusieurs domaine historiques, notamment une classique histoire événementielle en racontant date par date les actions de la brigade, mais aussi une histoire des mentalités et anthropologique, en étudiant la personnalité de Dirlewanger, la composition de ses membres, leurs motivations, leur place dans la société allemande et donc la vision que les gens extérieurs ont de cette brigade, mais aussi la nature de leur action sur le terrain, de leur massacres, leurs significations, la raison ?... bref, ce livre est une étude particulièrement poussée, très intéressante, et facile à lire donc accessible à tous, même si quelques connaissances au préalable sur le régime nazie peuvent aider à la compréhension du contexte, des implications et des différents personnages.


Cette critique est plus un résumé de l’œuvre qu’un avis sur celle-ci, mais utile pour montrer aux membres de Sens Critique de l’intérêt de ce livre qui n’est quasiment pas lu par ses membres, alors que son intérêt et sa qualité sont largement « supérieurs » à la majorité des livres lus.

PS : Pour ceux que ça intéresse je vous conseille (sans les avoir lu, mais cela ne serait tarder) de lire l’ouvrage de Christpoh Browning « Des hommes ordinaires », le livre du documentaliste Michael Prazan sur les Einsatzgruppen (que je possède dans ma bibliothèque) et surtout l’autre grand livre de Christian Ingrao « Croire et détruire ».

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le 18 mars 2013

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