Les mal-aimés
6.6
Les mal-aimés

livre (2019)

Le livre répond au cahier des charges du genre dans sa forme. Tu vois le bagne en fond, noir et blanc, il surplombe, il veut dire, tu t'aventureras aussi, peut-être, à lire les premières pages du très communément nommé prologue, et tout ceci est excellent. Dans la papeterie de l'aéroport, la plus grande escroquerie littéraire, les gens passent, avec leur lourdeur, d'assez pleins de leur vie, la voix annonce, l'heure des départs, des venues, tu lis les premières pages d'un livre à la couverture noire et blanche (c'est terrible, le noir et blanc, ça gomme les couleurs pour mieux accrocher les formes) je me dis alors que j'aurais le sentiment d'avoir atterri ailleurs, puisque c'est la vocation des mots, te faire voyager alors que t'as les deux pieds vissés sur terre.
Je m'étais quand même un peu méfiée des phrases, blanches, sur le noir et blanc : me méfie des distinctions comme de la confiture.
Mais je me suis dit que le résumé parlait, que le prologue il disait aussi, alors le reste pourrait bien m'en dire un peu moins ça pourrait pas être mauvais.


C'est vrai, c'est bien narré, afin de sonner salement beau dans ce gourbi - si cela ne suffirait pas, l'emploie du présent remédie à tout. En cela, j'admets les qualités d'écriture de Tixier. Il nous cuisine le morceau, sur une face puis sur l'autre, le retourne tellement de fois qu'à défaut de vous écoeurer, c'est indigeste.


Ce qui revient, en permanence, j'ai noté les rots, crachats, pets, merde, semence, sang, pus, d'autres que j'ai dû oublier, sous une couche de brûlé on oublie la couleur. Ah oui, les couches de bébé, j'oubliais c'est salement dégueulasse, et puis c'est triste des bébés, histoire de tout jeter dans l'eau du bain.
Est-ce que ça retourne ? Est-ce que ça vous touche ?
Une couche de bébé sale -ou une sale couche de bébés, dans les deux cas ça se vaudra ici, ça m'a jamais touchée outre mesure, même je connais pas le prisme du dégoût de l'humanité, je me dis que y'a bien une tonne de monde qui ont fait des bébés.


L'unique procédé capable d'engendrer du dégoût sur cette histoire, donc, c'est la vision sale de ses habitants.
L'impression que la campagne est rustre et arriérée, que c'est le véritable sujet de l'histoire, en réalité, pas le bagne, pas la vérité, mais un lien de logique qui dira que les aliénés engendrent des aliénés (à force de les avoir pas bien traités) comme si l'auteur portait à lui tout seul une haine viscérale pour ces contrées du passé. Les histoires, les faits, les scènes, l'injustice de l'époque, c'est survolé, pas le thème, peut-être le thème du résumé, de la couverture du livre noir sur blanc, du prologue, en tout cas pas de ces mal-aimés.


Le récit gravite autour de la bestialité humaine dans un village de paysans rustres, et c'est tout.


L'indignité ne se ressent pas : les victimes sont des fantômes ou des sujets qu'on regarde de loin. Les seuls malheureux dont on suit le périple, s'accommodent étonnement bien de leurs mauvais traitements.
Reste donc que l'odeur puante, relâchée incessamment, fouettée par les non-dits de ce peuple de cinglés.


Est-ce une intention louable ? Je ne sais pas, j'y vais de mon ressenti, le seul que j'ai, un petit coeur, des pensées, pas plus, pas la prétention, ni la culture assez louable pour dire c'est quoi qu'il faut écrire. Mais si le ressort du livre est d'exprimer, avec l'exemple du passé, la France profonde qu'on voulût enterrer, et qu'elle passe, elle aussi, par de plein d'institutions qui sont tout aussi méchantes que le reste, à monter qu'on est tous bien des salauds sur terre, je voudrais pouvoir lire, à défaut de regarder, plus qu'un négatif sur une pellicule sale.
Ce cliché, loin d'être assumé, est la ficelle principale du récit.
Pas de rappels historiques, soit, pas d'explications trop poussées sur les victimes, présentes ou passées, o.k, mais arriver, au delà de tout ça, à ne raconter rien qu'une photo noir et blanc, et chercher à vous faire ressentir des émotions au seul moyen du noir, qui fait crâcrâ, et du blanc, qui fait très beau, c'est plus que la berlue, c'est de la manipulation.


L'église est toute méchante (puisque la religion, c'est uniquement pour les philistins extrémistes) Les hommes et les femmes, hideux et hideuses physiquement, sont hideux et hideuses à l'intérieur (c'est automatique). Les personnages sont génériques,interchangeables.


La seule pureté dans ce paysage grisâtre, c'est une jeune fille si immaculée qu'elle s'appelle "Blanche" (je déconne même pas) Puis, elle est physiquement très belle, alors elle est très belle à l'intérieur. Une jeune femme, au passage, si esquintée depuis son enfance qu'elle a gardé, au contraire de tous les autres habitants, sa superbe et son équilibre mental, ça lui permet, par exemple, de pouvoir ressentir de la peine, pour un cheval, et aussi pour les pauvres bagnards du passé (on les aurait presque oubliés, avec tout ça !), rappelant "ces beautés citadines qui ont reçu une éducation" du coup, il est quand même important d'indiquer que tous les rustres de cet univers rêvent de la sauter.


Si la personne est mauvaise, elle sera ridicule ou moche, ou les deux.
Si elle n'a rien d'identifiable, elle sera fade.
Si elle est gentille, elle sera belle, voire méga bonne (au pays des beaufs, restons courtois.)


Mais c'est logique, me direz-vous, car le procédé du récit se basant exclusivement sur le visuel, comment faire naître chez le lecteur de la sympathie ou de l'horreur autrement ? L'auteur s'enferme lui-même dans sa technique, un peu comme sous un château de cartes, qui n'aura d'autre choix que de se casser la gueule à la toute fin, mais qu'il ne peut s'empêcher de terminer. - ne serait-ce que pour le montrer à un concours, au milieu de plein d'autres cartes qui se posent.


Cherchez pas de révélations, de gros dossiers, d'ailleurs, c'est pas le but, pas le sujet. le bagne est visible de loin, comme sur la couverture, c'est assez pour effrayer cette ouaille de consanguins (n'oubliez pas que nous sommes à la campagne)
Un moyen pratique pour rajouter, dans ce fameux cahier des charges, l'effet voulu, encore une fois visuel. Des trucs bizarres qui se passent ? Comme dit sur le résumé ? Lesquelles ? Trois feux de camps, des brebis en méchoui, et c'est déjà la fin.


Pour le reste, on en revient essentiellement à Blanche, qu'elle est bien bonne Blanche... je veux dire, vertueuse, car docile, et belle, un peu curieuse mais tout en sachant rester à sa place, c'est normal puisqu'elle est une gentille victime, au même titre que le seul garçon gentil, qui doit pas être vilain non-plus et qui bande, c'est normal, pour Blanche.


Sinon : juste un filet de sept lignes courtes, au début de chaque chapitre, registre des vrais adolescents morts dans ce bagne. Histoire que ça nous rende triste, quand même.

Karina
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le 26 déc. 2021

Critique lue 33 fois

Karina

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