"Vous qui entrez ici, laissez toute espérance."

En cette époque de révolution astronomique, où la première captation directe d'ondes gravitationnelles vient de prouver l'existence des trous noirs, vous ressentirez peut-être l'envie d'approfondir vos connaissances sur les objets célestes les plus fascinants qui existent: les OVNI. Dans ce cas, je ne peux rien pour vous.


Parlons plutôt de ces cadavres stellaires invisibles qui défient toutes nos connaissances actuelles en nous exhortant à unir physique quantique et gravitation en une théorie cohérente. Autant dire que ce n'est pas pour demain. En France, le grand spécialiste de la question est donc monsieur Luminet, précurseur en ce qui concerne le calcul de l'apparence d'un trou noir, indirectement visible par le biais de la déformation gravitationnelle et par le disque d’accrétion qui doit couronner certains spécimens. Vous trouverez d'ailleurs dans ce livre une image beaucoup plus réaliste que ce que propose le film Interstellar, pas si impeccable que ça sur le plan scientifique, comme aime le rappeler dernièrement Luminet, un brin taquin.


Les trous noirs est le premier ouvrage de vulgarisation de cet astrophysicien. Malgré le temps qui démode tout, l'opus reste en grande partie pertinent en 2016, même si cette année marque le début d'une nouvelle astrophysique (comme je le signalais au début) qui risque de bouleverser pas mal de choses ces prochaines années. Donc, vous pouvez encore vous jeter dessus sans soucis. Ce qui pourrait vous freiner, par contre, c'est le niveau de l'exposé. Luminet n'écrit pas un ouvrage de cosmologie, il se concentre sur les astres relativistes, c'est à dire les astres assez imposants et/ou rapides pour faire jouer les lois de la relativité générale. Du coup, maintes notions sont considérées comme connues et c'est la merde si vous n'avez jamais ouvert un ouvrage d'astrophysique auparavant. Alors allez vous jeter sur Patience dans l'azur de Hubert Reeves et La mélodie secrète de Trinh Xuan Thuan et puis revenez ici.


C'est fait ? Bravo, vous avez été rapides. Mais vos difficultés ne sont pas forcément terminées, les gars. Les trous noirs est un livre complet. Vous allez vraiment explorer toutes les facettes de cette merveilleuse monstruosité. Vous allez tenter de l'éclairer, tourner autour en trouvant les géodésiques vous permettant de vous libérer de son implacable gravitation. Vous aller foncer droit dessus, passer l'horizon des événements derrière lequel s'ouvre un monde inouï, propice à tous les fantasmes. Vous échapperez à l'appétit de la singularité centrale pour emprunter un trou de ver, passage vers d'autres dimensions à peine envisageables et pourtant mathématiquement plausibles. Vous sortirez vainqueurs de votre combat contre la bête et, ivres de votre succès, vous exploiterez même son énergie gravitationnelle afin d'assurer la survie de l'espèce humaine dans des futurs apocalyptiques. Plus qu'un exposé scientifique, Les trous noirs est presque une épopée.


Pourtant, c'est parfois presque trop. Luminet n'hésite pas à régulièrement interrompre le flux de son exposé céleste en expliquant avec une précision diabolique les conditions scientifiques et historiques qui ont présidé à telle ou telle découverte. C'est évidemment intéressant mais ça noie rapidement le lecteur sous une tonne de dates et de détails parfois difficiles à assimiler. On est loin du rythme narratif parfait des Reeves et Thuan susmentionnés. Bien sûr, rien ne nous empêche de sauter ce genre de passages, mais je ne peux manquer d'être un peu contrarié en constatant que, a contrario, certains aspects des trous noirs sont laissés dans une sorte de flou trop théorique. De nombreux diagrammes viennent judicieusement étayer nos efforts de compréhension, mais certains d'entre eux semblent considérés comme des expositions de la réalité, plutôt que comme l'expression d'un langage mathématique. Autant dire que ça rend certaines explications du livre très insatisfaisantes...


Malgré cette sensation d'inconfort due à cette succession de manquements et de trop-plein, le voyage, sous forme de montagnes russes, vaut largement le détour. Ce n'est clairement pas un livre à dévorer, mais à analyser, méditer (ça m'a pris plus de deux mois, mais je ne suis pas un modèle de rapidité)… Prendre des notes et compléter par des infos glanées sur Internet ne sera pas de trop. Loin de donner la nausée, l'essai de Luminet ne fait qu'attiser notre faim de ces grands dévoreurs cosmiques qui semblent détenteurs de quelque secret ultime de l'univers. La plus haute science, toujours, attise en nous les plus vifs élans spirituels...

Amrit
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le 8 mars 2016

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