Approches de l'illisible en critique littéraire

[N.B.: n'ayant pas pu trouver de fiche correspondante, la critique qui suit ne porte pas sur l'ouvrage de Bozzatto cité ici, mais sur une publication un peu plus ancienne (2004), écrite en collaboration avec Arnaud Huftier: Les frontières du fantastique - Approches de l'impensable en littérature]


Difficile d'aborder cet ouvrage sans évoquer pour commencer son aspect formel: il s'agit d'une compilation de chapitres écrits alternativement par deux auteurs ; on est donc quelque part entre l'ouvrage de critique littéraire classique et le recueil d'articles...Le principal problème en la matière est que l'un des auteurs (en l'occurrence A. Huftier, qui n'est d'ailleurs initialement a priori pas vraiment un spécialiste du domaine fantastique à la différence de Roger Bozzetto) a une écriture des plus désagréables, aussi alambiquée qu'ampoulée, qui se prolonge dans des analyses souvent aussi hermétiques que vagues...L'auteur semble bien plus intéressé à l'idée de nous faire bien comprendre qu'il est très "intelligent" (ce qui, à ses yeux, semble se traduire par la capacité à placer de nombreux termes techniques dont on peine à saisir l'intérêt) et pointu (une avalanche de citations et de références qui, accumulées, génèrent immédiatement un effet de saturation chez le lecteur) plutôt qu'à l'idée de faire véritablement progresser la connaissance théorique et bibliographique en matière de littérature fantastique. Dès lors, il était malaisé d'accrocher véritablement à un ouvrage dont on finit par sauter mécaniquement la moitié des contributions!


Si l'on parvient à dépasser cet aspect formel très dommageable (pour un livre par ailleurs très bavard et épais de plus de 300 pages...on est loin de la concision et de l'efficacité rhétorique d'un Todorov...), qu'y trouve-t-on? Si les auteurs appellent comme il se doit à dépasser la définition todorovienne du fantastique (à laquelle j'avais d'ailleurs taillé un short dans une précédente critique), ils se contentent dans les faits de rappeler (et de façon fort peu efficace et opératoire) la (désormais) rituelle opposition entre fantastique de l'ambiguïté (générateur d'angoisse, la peur de la peur) et fantastique de la monstration (générateur de terreur face à un "impensable" qui se montre) ; l'effet de fantastique naît selon eux d'un jeu sur les frontières avec les normes (sociales, épistémologiques, philosophiques, etc.) admises d'une époque. Rien de faux donc, mais rien de révolutionnaire non plus à se mettre sous la dent.


Le reste du livre se partage entre études thématiques (la place des médecins dans la littérature fantastique, de la science, de la magie, du sacré, etc., etc.) et réflexions sur les frontières entre genres (fantastiques vs. mythes, fantasy, policier, science-fiction, etc.), le tout également émaillé de quelques analyses plus précises de certains textes. L'ouvrage défendant des thèses un peu "molles" (très générales et un peu floues), l'ensemble a un peu mal à trouver un ton vraiment accrocheur, et le lecteur (même de bonne volonté comme moi) sombre rapidement dans l'ennui (voire l'irritation); les quelques textes analysés de près sont dans l'ensemble peu connus (un de Jean Ray, un de Bradbury...), les autres sont soit rapidement survolés, soit juste cités, comme partant du principe que le lecteur serait déjà TRES fin connaisseur du domaine (mais si c'est le cas, que pourrait-il alors retirer d'analyses souvent assez attendues?). Bref, l'ouvrage ne parvient pas trop non plus à trouver sa cible...


Voilà donc mon retour pour un ouvrage scientifique dont le naufrage était sans doute déjà acté dès l'établissement du projet: le tout se plante au niveau formel et éditorial avant même de nous laisser de marbre par ses analyses somme toutes assez banales (et surtout mal exposées encore une fois) ; il aurait fallu évincer totalement Arnaud Huftier du projet qui n'y trouve pas sa place (désolé pour lui!), dégraisser le texte de moitié au moins et adopter une écriture et une progression beaucoup plus claire, didactique et pédagogique.


Bien entendu, la critique est aisée et l'art délicat (je le sais pour avoir moi-même donné dans le domaine de la critique et l'analyse universitaire, en particulier via des articles dans des revues de recherche). Pour autant, il faut être honnête et reconnaître quand un ouvrage se plante, même armé des meilleurs intentions sur le papier.


Du coup, je suis toujours à la recherche de la somme récente qui deviendra ma véritable référence théorique en matière d'horreur / fantastique! Mais peut-être ferais-je mieux tout simplement d'approfondir désormais ma connaissance des auteurs?

Tibulle85
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le 2 mai 2019

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