D'après la dédicace de début, j'étais concerné par cet opuscule, qui recense les personnes à qui ce livre est adressé ("Si tu penses que les athées de gauche font le jeu des fachos et des xénophobes" ; "si tu penses que populariser le concept d'islamophobie est le meilleur moyen de défendre l'islam"). On ne va pas se mentir, dans les années 2000, j'étais étudiant dans le quartier latin. Je suivais le procès des caricatures de Charlie et je ne connaissais pas encore l'expression de drama queen que j'aurais sans doute appliquée à la rédaction selon mes convictions de l'époque. J'ai fait un peu de chemin depuis, je comprends que l'enjeu avec les caricatures étaient de défendre la liberté d'expression, après je n'est jamais été lecteur de Charlie.


La lecture de ce court livre de 66 pages, finalisé le 5 janvier 2015, deux jours avant l'assassinat de la rédaction, fait partie d'un cycle que je me suis imposé pour comprendre les lecteurs de Charlie Hebdo. Je ne suis pas d'accord sur absolument tout mais il a quelque chose de rassurant. J'ai apprécié le goût du contradictoire de Charb, qui n'était clairement pas le pire dans la rédaction, de ce que j'en vois (je n'ai jamais été lecteur du journal). Sa pensée est loin d'être simpliste, et il évite les amalgames que je craignais. Au fonds, il essaie surtout de défendre son métier de dessinateur de presse, ce que je comprends fort bien. Et puis ça avait l'air d'être un bon gars.


C'est court, et donc un peu léger. Le but est de clarifier quelques points, il y a donc un sentiment d'inachevé. Mais le but était d'être accessible.


Le livre se découpe en de courts chapitres.
Le racisme ringardisé par l'islamophobie.
Charb revient sur un point récurrent : le côté insatisfaisant du terme d'"islamophobie". C'est peut-être le point sur lequel je suis le moins d'accord avec lui. Il ne nie pas les actes dont peuvent être victimes des musulmans, même s'il les juge surmédiatisés et instrumentalisés. Il fait une série de parallèle avec des religions, des opinions politiques, etc... pour montrer que ce terme est inopérant et insultant pour les musulmans. Il ne protège pas des croyants, mais leur foi (ok). Que ce terme ambigu ne doit pas être utilisé pour baillonner des critiques envers l'islam, ça ok. Qu'il faille utiliser plutôt le terme de "racisme", ça non. Pour moi ce serait galvauder le terme de racisme, qui s'emploie des idéologies qui découpent l'Humanité en races. Donc ça ne peut pas recouper la haine des musulmans.


La foi, c'est se soumettre.
Ce chapitre rappelle que les textes sacrés ne le sont que dans l'oeil de ceux qui les voient ainsi, donc qu'un non-croyant ne peut pas être blasphémateur. Il y a aussi cet argument que j'aime bien : les croyants qui veulent faire justice à Dieu ne l'amoindrissent-ils pas ? Si Dieu est si puissant, il peut se défendre tout seul.


Condescendance des élites et infantilisation.
Charb considère ici que l'"islamophobie" est un phénomène que les médias contribuent à créer en en parlant. Au fonds, un musulman devrait cracher sur le journaliste qui lui demande son opinion face à "la montée de l'islamophobie", car en faisant cela le journaliste crée ce qu'il dénonce. Pourquoi pas. Charb revient ensuite sur l'affaire des caricatures de Mahomet, il défend une interprétation un peu filandreuse de la caricature la plus discutée (celle avec la bombe dans le turban). Il fustige le mémorial aux "combattants musulmans" de 1914-18 inauguré par Hollande le 18 février 2014, dénonçant la cuisine électoraliste socialiste. Et les incitation de cette élite à modérer le discours sur l'islam sont insultantes et discriminantes.


Les héros de la lutte contre la prétendue islamophobie de Charlie Hebdo.
Charb revient sur plusieurs procès contre Charlie avec une certaine verve. M. Zaoui Saada, qui a perdu son procès contre le journal pour l'affaire des caricatures, puis à propos d'une une consacrée au film anti-islam L'innocence des musulmans, une mal interprétée. Il évoque également Karim Achoui, fondateur de la LDJM, qui tronquait la une de Charlie montrant un frère musulman se protégeant de balles derrière un Coran et disant "C'est de la merde ça ne protège pas des balles". Charb insiste dans chaque affaire sur la malhonnêteté qui tronque la citation. A noter une intéressante reprise de l'affaire depuis un tribunal de Strasbourg, en Alsace-Moselle où le crime de blasphème est reconnu. Achoui voulait faire revoir le statut de ce territoire. Charb regrette que le procès n'ait pas eu lieu car il aurait aimé aussi, par cette jurisprudence, revoir le statut d'Alsace-Moselle, mais pour le supprimer. C'est sans doute le passage le plus intéressant du livre. Il revient enfin sur une pétition instrumentalisée contre Charlie, et sur le magazine Inspire, de l'AQPA, où il figure parmi des personnes à abattre. Deux jours après la parution de ce livre, la prophétie se réalise. Assez frappant.


L'effet papillon de la liberté d'expression.
Charb se plaint que certaines caricatures de Charlie Hebdo soient retouchées et deviennent virales sur internet pour leur donner une teinture islamophobe et il prend plusieurs exemples. Il revendique le droit de dessiner des barbus extrémistes sans que cela soit assimilé à de l'islamophobie, son propos est très clair sur ce point. Il prend l'exemple d'une installation projetant des versets du Coran qui a dû être retirée car des extrémistes ont hurlé car on pouvait marcher dessus. Le fait que l'installation ait été retirée donne raison à ces extrémistes, et en fait les porte-voix des musulmans. C'est le contraire de ce qu'il faudrait faire.


Vers la déclinaison d'un concept porteur.
Le fait que les islamistes se victimisent inspirent les intégristes de l'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne, ou encore ceux de Civitas, qui veulent pousser le concept de cathophobie. Il rappelle une scène hallucinante où des islamistes sont venus appuyer des gars de Civitas venus protester contre une pièce de Romeo Castellucci en 2011. Il flingue aussi Alain Gresh en récusant qu'on puisse qualifier l'islamophobie de nouvel antisémitisme. Alors là je suis d'accord, mais il manque quelque chose dans l'argumentation de Charb de mon point de vue. C'est un peu plus compliqué, quand même. Il faudrait parler du glissement qui s'est fait au sein du Front National, du bon vieux filon antisémite vers une nouvelle ligne mettant systématiquement en cause l'islam. Charb s'inquiète ensuite de la création du délit d'outrage au drapeau qui est passée sous Sarkozy, visiblement pour condamner un Arabe.


Et l'athéophobie, dans tout ça ?
Le livre se conclue en appelant les religieux à caricaturer les athées plutôt qu'à essayer de les découper en rondelles. Le livre se termine sur la phrase : "Aucune discrimination n'est plus ou moins grave que d'autres".

zardoz6704
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le 20 nov. 2020

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