Limonov.
C’est déjà mon quatrième livre d’Emmanuel Carrère et je n’ai toujours pas réussi à déterminer s’il faut l’estimer écrivain génial ou baltringue escroqueuse. Troublant, car d’habitude, je ne suis pas du genre à tergiverser et dans le doute, je préfère toujours dire qu’un livre est pourri, l’enthousiasme étant un ridicule bien plus pénalisant socialement que l’aigreur et le cynisme revenus de tout. Le cas d’Emmanuel Carrère est plus complexe que les autres…
Si D’autres vies que la mienne m’avait paru sans intérêt (mais c’était mon premier et j’étais jeune : une relecture s’impose), L’adversaire m’avait ennuyé par son style journalistique plat et son intrigue de montagne suisse. Ce n’était vraiment qu’à la lecture d’Un Roman russe que les palpitations m’avaient pris.
La cruauté de certaines situations, l’érotisme assumé du narrateur, la volonté destructrice sidérante de ne rien cacher de ses faiblesses et de ses défauts, la découverte de la Russie contemporaine à travers une histoire remontant au soviétisme, tout cela m’avait paru puissant, sulfureux ainsi que légèrement visqueux par son appartenance à un sous-genre assez minable : l’autofiction. C’était ce que je rétorquais en tout cas à tous ceux qui détestent Carrère pour montrer que je savais moi aussi baisser mon froc par amitié et m’assoir alors à fond sur mes intuitions. L’autofiction m’apparaissait alors comme la fosse d’aisance de la littérature française. J’avais tort, mais j’aimais trop les jugements catégoriques pour m’en formaliser.
Ceci dit, à cause de Limonov, tout ce petit équilibre critique s’est écroulé faiblement dans la vanité de mon égo – oui, il y a un sadisme et un masochisme propres au lecteur compulsif. J’ai aimé ce livre, non seulement parce qu’il parle de la vie d’un de ces personnages pour qui le mot « rocambolesque » semble avoir été créé, mais aussi parce que j’ai peu à peu reconnu dans les doutes de l’auteur, dans ses bris d’orgueil blessé et dans ses infimes satisfactions le portrait terni de l’homme vers lequel mon âge me guide.
D’ailleurs, en lisant, je ne pouvais m’empêcher de voir dans la biographie qu’il fait de Limonov les distorsions et les arrangements qu’il accomplit pour trouver en lui un double fantasmé, redouté, hypnotique. Projection commune à toute la race des fébriles spasmophiles et graphomanes dangereux.