Même s'il faut toujours prendre le recul nécessaire pour lire les écrits de recherches des historiens du XIXème siècle, ce n'est pas fondamentalement le contenu des faits qu'il faut remettre en question mais l'approche idéologique.


Ernest Renan, historien émérite des religions que l'on ne présente plus, a, sur ce plan, une démarche qui plaide largement en sa faveur. En effet sa fascination pour les sciences et sa détermination à expliquer les religions en s'appuyant d'abord sur la nature humaine de leurs prophètes (démarche qui lui fit notamment encourir les foudres de l'Eglise et de la société) rendent pérennes ses travaux et on est même incroyablement surpris de la fraîcheur de certaines données, fraîcheur qui hélas ne s'explique que par la persévérance des faits à travers l'histoire, jusqu'à toucher de près notre actualité.


"Mahomet et les origines de l'islamisme*" n'est absolument pas un ouvrage polémique ; seule une lecture contemporaine sans discernement pourrait amener le lecteur à penser que le célèbre historien a voulu identifier ici les sources du fanatisme religieux armé. Il s'agit tout simplement d'une biographie synthétique et extrêmement accessible du prophète d'Allah.


Se basant, cela va de soi, sur la documentation érudite internationale de son temps, Ernest Renan a voulu montrer que l'Islam est une religion parfaitement connue et exempte de mystères comme peuvent l'être d'autres religions plus anciennes, voire mythologiques. Les sources sur Mahomet sont en effet nombreuses, et contrairement à ses "homologues" chrétiens ou bouddhistes, il a pleinement vécu en homme, rejetant toute dimension surnaturelle de sa condition. Ni thaumaturge, ni illuminé, ni devin, Mahomet fut d'abord un messager et un prédicateur. D'ailleurs, les miracles rapportés dans le Coran sont peu nombreux.


L'approche documentée et sans jugements de valeur d'Ernest Renan permet aux lecteurs d'aujourd'hui d'acquérir les notions biographiques de base sur le guide spirituel majeur des Musulmans. L'auteur distingue notamment le prosélytisme paisible de Mahomet à la foi violente d'Omar, son "disciple" amené à lui succéder, engendrant le fanatisme :


"Toute l’énergie qui fut déployée dans la fondation de la religion nouvelle appartient à Omar. Omar est vraiment le saint Paul de l’islamisme, le glaive qui tranche et décide. On ne peut douter que le caractère indécis de Mahomet n’eût compromis son œuvre sans l’adjonction de cet impétueux disciple, toujours prêt à tirer le sabre contre ceux qui n’admettaient pas sans examen la religion qu’il avait d’abord persécutée. La conversion d’Omar fut le moment décisif dans le progrès de l’islamisme. Jusque-là les musulmans s’étaient cachés pour pratiquer leur religion et n’avaient osé confesser leur foi en public. L’audace d’Omar, son ostentation à s’avouer musulman, la terreur qu’il inspirait leur donna la confiance de paraître au grand jour. Il ne semble pas que Mahomet ait rien vu au-delà de l’horizon de l’Arabie, ni qu’il ait songé que sa religion pût convenir à d’autres qu’aux Arabes. Le principe conquérant de l’islamisme, cette pensée que le monde doit devenir musulman, est une pensée d’Omar. C’est lui qui, après la mort de Mahomet, gouvernant en réalité sous le nom du faible Abou-Bekr, au moment où l’œuvre du prophète à peine ébauchée va se disloquer, arrête la défection des tribus arabes et donne à la religion nouvelle son dernier caractère de fixité. Si la chaleur d’un tempérament impétueux s’attachant avec frénésie à un dogme, afin de pouvoir haïr à son aise, doit s’appeler foi, Omar a réellement été le plus énergique des croyants. Jamais on n’a cru avec plus de rage, jamais on n’a dépensé plus de colère au nom de l’indubitable. Le besoin de haine amène souvent à la foi les caractères entiers et sans nuances, car la foi absolue est le plus puissant prétexte de haine, celui auquel on s’abandonne avec le plus de sécurité de conscience."


Un autre point intéressant de cette biographie réside dans les explications que donnent Ernest Renan pour expliquer comment le Coran fut compulsé et modifié jusqu'à trouver la forme qu'on lui connaît. Ou comment les paroles du Prophète, essentiellement retranscrites sur des omoplates de mouton au fil de son prêche, sont devenues, après sa mort, les sourates inspirées par Allah et destinées à guider la spiritualité de tout un peuple.


En résumé, j'ai été satisfaite de pouvoir rafraîchir mes connaissances acquises en faculté d'histoire sur les origines de l'Islam grâce à cette approche factuelle, synthétique et admirablement écrite, ce dernier point garantissant une lecture agréable d'un sujet pouvant légitimement rebuter les plus néophytes.


*il faut comprendre le terme "islamisme" comme un synonyme d'Islam, comme il est nécessaire de resituer le texte dans son contexte de la seconde moitié du XIXème siècle.

Gwen21
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le 21 mai 2015

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