« Maudit Best-seller » : le succès littéraire poissard, par Marc Kryngiel

Il y a quelque chose de frustrant à ne pas vendre ses livres autant qu’on le souhaiterais. La hantise de tout écrivain, en somme. C’est un peu dans cette situation que se trouve Cyril Gramenk (habile anagramme de l’auteur). Sa carrière d’écrivain ne décolle pas et sa relation avec sa femme est au point mort et semble doucement dériver en gare du « train train de la désolation ». Pas vraiment le contexte rêvé.
Seul Frossant, son éditeur, reste confiant. Sur le dernier roman de Gramenk il tient ces propos :
« Qu’est-ce que ça peut faire ? Le bouquin est bon, c’est le principal, dans vingt ans il sera dans tous les manuels scolaires C’est qu’une question de temps. […] Vous tracassez pas, et continuez à écrire comme vous le faites, surtout ne changez rien, les critiques sont des cons Gramenk, n’allez surtout pas vous mettre à leur niveau. »
Un peu optimiste, le zig. En tout cas nettement moins difficile à convaincre que le banquier qui n’a de cesse de réclamer des résultats et, comme sa fonction l’impose, de demander des comptes.

C’est alors que son éditeur se fait virer avec perte, fracas, mais également une belle indemnité. Ni une ni deux, Frossant encourange son écrivain fétiche à le rejoindre dans la nouvelle maison d’édition qu’il va créer.
Il reste cependant à Gramenk un contrat à honorer avec son éditeur actuel. Qu’à cela ne tienne, il sort d’un fond de tiroir un vieux roman illisible qu’un admirateur avait eu l’outrecuidance de lui envoyer. La critique qu’il en avait fait était pour le moins lapidaire :
« J’ai commencé à le lire avec enthousiasme. Les premières pages ne me convainquaient pas vraiment, mais comme l’auteur aimait mes livres et qu’on était de la même veine, j’ai insisté. Plus j’avançais, plus la lecture m’était pénible, et au bout d’une centaine de pages il a bien fallu que je me rende à l’évidence : le bouquin était nul et prétentieux. […] De la provocation minable, une histoire mal ficelée, mal écrite, sans queue ni tête, un truc impubliable […] En tout cas, son titre était raccord, Je fais n’importe quoi, il n’y avait pas tromperie sur la marchandise. »
Alors que Gramenk pense essuyer un refus de la part de son éditeur et ainsi se débarrasser de lui, il apprend que le torchon que constitue « Je fais n’importe quoi » a enthousiasmé le comité de lecture.
Le roman est publié et rencontre rapidement un franc succès.
Cela implique nombre de complications pour Gramenk. Car si sa stabilité financière est au beau fixe et que son couple va mieux, il a toujours sur la conscience le fait d’avoir volé une œuvre littéraire. Et cela n’est peut-être pas étranger aux menaces de mort qu’il reçoit. Ajoutons à cela une conquête qui réapparaît avec un enfant qu’elle présente comme étant le sien et vous avez là la genèse de nombreux quiproquos, imbroglios et reversions de situations.
Cerise sur le gâteau, le livre suscite la polémique compte tenu d’une scène de pédophilie à côté de laquelle Gramenk est lamentablement passé lors de sa lecture incomplète de l’ouvrage. Polémique qui jette sur l’œuvre le doute de la factualité.

Marc Kryngiel malmène son double littéraire, mais probablement ne fait-il là qu’user jusqu’à la corde l’intérêt même de l’avatar littéraire. Gramenk est l’archétype de l’homme faiblard, incapable d’assumer ses actes et de prendre les bonnes décisions. Il perd le contrôle d’une situation qu’il n’a jamais eu en main. On se gausse de long en large à travers ce roman tout en se tenant la tête tant on est consterné par la stupidité du protagoniste qui inspire toutefois ce qu’il faut d’empathie.
Kryngiel en profite pour dresser sommairement un tableau des milieux littéraires et éditoriaux. Ainsi au nombre de situations cocasses recensées dans le bouquin, il ajoute une remise de prix littéraire avec tout ce que cela a de vain et protocolaire :
« Le président du prix Littérature et société, un ancien présentateur de télé à la retraite, a saisi le micro pour dire tout le bien qu’il pensait de mon livre qui « dérangeait tellement les culs-bénits et les bien pensants » (c’est ça, ce livre minable allait devenir l’étendard de la subversion, ce type n’avait pas peur du ridicule). Je venais de gagner 20 000 euros en recevant des hommages et des compliments imbéciles. Il n’y avait pas de quoi être fier. J’ai profité du champagne et des petits-fours en m’en mettant jusque là. »
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le 29 juil. 2014

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Anthony Boyer

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