Le livre-témoignage de Xavier Léger est non seulement courageux, il est salutaire. L'Eglise devrait remercier son auteur. On ne sort pas indemne de cette lecture. Il s'agit d'un livre "choc".

Ce témoignage démontre de manière impressionnante qu'il ne faut jamais séparer les abus sexuels dans l'Eglise des abus d'autorité. A travers le cas de la Légion du Christ nous touchons du doigt comment se sont développés dans l'Eglise des mouvements sectaires, donc négateurs de tout ce qui constitue l'humanisme chrétien. Xavier ne sépare pas la figure du pervers manipulateur et dominateur que fut le fondateur de la Légion, Marcial Maciel (objet d'un culte de la personnalité comme dans d'autres mouvements "religieux") de l'organisation de ce mouvement à travers ses Constitutions voulues par le fondateur. En lisant ce récit qui donne des frissons on comprend comment le père Maciel a détourné à son profit et au service de sa volonté de domination et de puissance la foi chrétienne, la générosité et la vocation, souvent forcée, de nombreux jeunes hommes. Dans cette "congrégation" les lettres du fondateur sont plus importantes que les textes bibliques, et la vérité aurait exigé qu'elle fût appelée la Légion du père Maciel, le Christ étant finalement secondaire dans cette institution totalitaire qui a piétiné la liberté, la conscience et la dignité humaine au nom du "règne du Christ". La Légion est une énorme supercherie spirituelle qui a causé des dégâts gigantesques en présentant une caricature de la foi chrétienne comme un idéal de sainteté. Les quelques mots qui sont écrits sur la "formation" intellectuelle des légionnaires font craindre une vision plus que déformée de la théologie chrétienne. Les légionnaires étudient la pensée manichéenne et apocalyptique du fondateur davantage que la riche tradition théologique bimillénaire de l'Eglise. Cela frise le délire pur et simple. Le volontarisme qui est au cœur du système légionnaire ainsi que l'importance capitale accordée au strict respect des innombrables règles et règlements dessinent une figure du fondateur en héritier de Pélage et de son hérésie niant la primauté de la grâce et de la miséricordes divines au profit d'un salut gagné par les seules forces humaines. Rien que le nom de cette congrégation aurait dû donner un sujet de réflexion aux autorités de l'Eglise qui, non seulement, l'ont approuvée, mais l'ont soutenue et promue en dépit des centaines de lettres de plaintes parvenues dans les bureaux de la curie romaine... L'obéissance religieuse n'a en effet rien à voir avec l'obéissance militaire. Dans les Evangiles le mot "Légion" apparaît seulement deux fois: en Matthieu 26, 53 c'est Jésus qui refuse de faire appel aux 12 légions d'anges pour se protéger au moment de son arrestation; quant au récit de Marc 5, 8.9 il associe clairement la Légion aux démons!

"Jésus lui disait en effet : « Esprit impur, sors de cet homme ! » Et il lui demandait : « Quel est ton nom ? » L’homme lui dit : « Mon nom est Légion, car nous sommes beaucoup. »

Xavier ne dénonce pas seulement la secte que fut la Légion au sein de l'Eglise, il dénonce aussi le silence coupable des autorités vaticanes (Curie et papes)... qui, bien qu'informées depuis longtemps, ont continué à bénir le fondateur et son œuvre. De fait malgré tous les scandales la Légion a survécu a son fondateur. On pourrait relire ce second scandale, celui de l'attitude plus que bienveillante des autorités vaticanes à l'égard de la Légion, en se référant aux tentations du Christ au désert. "La fécondité" vocationnelle de la Légion et le nombre de prêtres et de séminaristes qu'elle alignait place saint Pierre (comme des clones en soutane dignes des agents de Matrix) a impressionné sans aucun doute les papes... Malheureusement le critère du nombre, donc de la volonté de puissance, n'a rien d'évangélique... sans parler des sommes d'argent accumulés par les recruteurs de fond de la Légion... Recruteurs vocationnels et recruteurs de fonds comme dans une multinationale quelconque... Dans le livre "Abus spirituels et dérives sectaires dans l'Eglise" (2019) le chapitre 4 s'intitule "Dérives et abus sectaires: les reconnaître". Or le premier indice est tout simplement le suivant: "La communauté recrute beaucoup...". Jésus, lui, n'a appelé à sa suite que 12 hommes très différents les uns des autres. Et voici comment il a résisté au pouvoir que Satan lui offrait: "Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. » Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »

Dans une Europe sécularisée et déchristianisée il est très tentant pour les autorités de l'Eglise (aveuglées par la peur? nostalgiques d'une chrétienté qui ne reviendra jamais?) de se faire prendre par le mirage du nombre... mais cette tentation lorsqu'on y cède a des conséquences dévastatrices. Ce n'est pas parce qu'une congrégation recrute et fait du nombre qu'elle est pour cela en accord avec l'Evangile, bonne, saine, et sainte! Le nombre n'a jamais été un critère de vérité et de sainteté. Beaucoup de sectes recrutent elles aussi... en utilisant des moyens et des méthodes pas très "catholiques"!

Le grand mérite du livre de Xavier Léger est de nous rappeler que sans la vérité, sans la justice, la confiance en l'Eglise-institution est radicalement et durablement ébranlée...

"Alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. " Jean 8, 32.

Ce livre est donc non seulement utile, salutaire mais aussi libérateur pour l'Eglise dépositaire du trésor de l'Evangile. Car contrairement à ce qui se passe dans les sectes, la liberté chrétienne permet au catholique d'interroger, d'interpeller et de critiquer les autorités de son Eglise lorsque sa conscience l'exige sans que cela soit immédiatement considéré comme un péché d'orgueil.

Lors de la dernière crise financière et boursière les Etats (donc les contribuables) ont sauvé des banques pourries et malhonnêtes en invoquant le principe "TOO BIG TO FAIL". Il semblerait que la survie de la Légion du Christ en tant que congrégation reconnue par l'Eglise soit due à l'application du même principe dans le domaine spirituel... La Légion était devenue trop puissante pour être supprimée...

PadreBob
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le 27 janv. 2024

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