Elle s'exprimait avec une grande précision pour une habitante du Maycomb. Elle nous appelait par nos noms complets et, quand elle souriait, laissait voir deux minuscules crochets d'or fixés à ses canines supérieures. Béate d'admiration, je lui dis que j'espérais finir un jour par en avoir.
— Regarde ! dit-elle alors.
D'un claquement de langue, elle détacha son bridge, geste chaleureux qui cimenta notre amitié.
Les noctambules étaient allés se coucher, mais les fruits mûrs des margousiers martelaient le toit quand le vent les agitait et, dans l'obscurité désolée, on n'entendait plus que l'aboiement de chiens au loin.
[...] nous étions dimanche et tante Alexandra était carrément irritable le jour du seigneur. Ce devait être le corset qu'elle ne mettait que ce jour-là. Non qu'elle fut grosse, mais elle se portait bien et choisissait des vêtements assurant un soutien suffisant pour remonter sa poitrine à des hauteurs vertigineuses, serrer sa taille, s'évaser sur son derrière et suggérer qu'elle avait eu autrefois une taille de guêpe. C'était impressionnant de tous les points de vue.
Un chariot empli de dames passa dans un bruit de ferraille ; elles étaient vêtues de robes de coton à manches longues et coiffées de bonnets pour les protéger du soleil. Un homme barbu au chapeau de laine les conduisait.
— Je crois que ce sont des mennonites, expliqua Jem à Dill. Ils ne portent pas de boutons à leurs vêtements.
Ils habitaient au fond des bois, traitaient surtout avec les habitants de l'autre rive et ne venaient que rarement à Maycomb. Dill parut intéressé.
— Ils ont tous les yeux bleus, poursuivit Jem, et les hommes ne se rasent plus après leur mariage. Leurs femmes aiment qu'ils les chatouillent avec leur barbe...
Juché sur son estrade, le juge Taylor avait l'air d'un vieux requin assoupi dont le poisson pilote écrivait rapidement au-dessous de lui. Le juge Taylor ressemblait à la plupart des juges que je connaissais : aimable, les cheveux blancs, le visage légèrement rubicond ; c'était un homme qui présidait son tribunal avec une inquiétante simplicité – il lui arrivait de mettre les pieds sur son bureau ou de se nettoyer les ongles avec son canif.
— Mais c'est une longue cour à traverser la nuit pour les petites filles, me taquina Jem. T'as pas peur des fantômes ?
Je ris avec lui. Les fantômes, les Fumants, les incantations et autres signes cabalistiques s'étaient évanouis avec notre petite enfance, comme la brume au lever du soleil.
— Qu'est-ce qu'il fallait dire, déjà ? reprit Jem. « Ange-brillant, mort-vivant ; va-t'en de cette route, ne suce pas mon souffle. »
Traduction par Isabelle Stoïanov.