L'histoire de Nico serait digne d'un film s'il était seulement au niveau de l'aura du personnage. Nico joua dans des films pourtant. Mais non pas basés sur elle-même mais à chaque fois un personnage... proche d'elle et auquel elle apporte une substance personnelle. C'est La dolce vita de Fellini où de second rôle, elle semble se fondre comme une pièce essentielle du décor en parlant sans fin plusieurs langues différentes devant un Marcello un peu sidéré et halluciné. C'est bien sûr les films de Garrel dans sa période la plus expérimentale, films encore peu disponibles voire pas du tout (Le berceau de cristal). C'est aussi le modèle glacé chez Warhol et les films de la Factory tout comme l'égérie du Velvet sur leur premier disque. C'est enfin une musique qui ne fait que réfléter une personnalité sombre, mélancolique et en marge du monde.


"L'exil n'est pas moins temporel que spatial. Elle joue avec l'idée de redevenir blonde, mais se trouve "trop vieille, maintenant". Elle a beau dire qu'elle n'a "pas le temps de devenir un cliché", où qu'elle aille, on lui demande de réinterpréter les classiques du Velvet Underground, d'évoquer les ombres de Lou Reed, de Warhol, de Jim Morrison. A Berlin, où elle habite chez les parents de Lutz, David Bowie est en train d'enregistrer Low et "Heroes". Depuis des années, Nico écoute en boucle "Cygnet Committee". Dans l'espoir qu'il produise son prochain album, elle glisse un message sous la porte de l'appartement de Schöneberg qu'il partage avec Iggy Pop : "Je veux te voir." Le Thin White Duke lui fait répondre : "Je ne veux pas te voir." (p. 180)


De son vrai nom, Christa Päffgen, Nico aura un peu tout vécu. Les privations de la seconde guerre mondiale dans un Berlin en ruines. Le fait qu'elle fut violée à l'adolescence par un soldat américain noir et que celà aurait suffit à jamais à la rendre raciste (on n'a jamais retrouvé de preuve directe pouvant identifier le soldat en question par contre. Donc....hmm.... Mystère et méfiance....). Les années d'errance et la difficulté de vivre de son art musical. Avoir un fils qu'on lui retire parce que son père, Alain Delon, ne daigne pas le reconnaître. Se shooter constamment à l'héroïne et faire en sorte que les lieux où s'en procurer deviennent les lieux de passages des concerts (ambiance). Serge Féray montre tout ça, les hauts, les bas et bien sûr un personnage qui n'était ni blanc, ni noir.


"Original et simple. Il n'est pas question pour Nico de rivaliser avec les virtuoses du rock des années soixante. Elle se choisit un instrument encore vierge de tout karma rock, qu'elle va pouvoir s'approprier, marquer de son empreinte. En outre, l'harmonium, ceux qui ont vu Allemagne année zéro le savent bien, c'est le son, la musique même des ruines de Berlin (Ombra mai fu)." (p. 77)


Surtout, l'ouvrage s'avère essentiel pour qui s'intéresse à la chanteuse car il décortique avec précision ses textes, les sonorités, la façon de les chanter, les titres, les albums, la musique en somme, entièrement. Il montre aussi les liens complexes qui existaient entre Nico et ceux qui l'inspirent, ces proches comme ceux, plus éloignés. Une continuelle histoire d'amour-haine, de rapprochements et d'éloignements. On apprend par exemple que malgré son admiration pour Cale par exemple, avoir un album avec Brian Eno ne l'aurait pas gêné (ce dernier étant présent sur son album "The end" de 1974 toutefois). Elle voudrait composer un album avec Christian Vander, leader du groupe Magma, mais les deux se brouillent très vite. Admirant David Bowie elle cherche à le rencontrer plusieurs fois, ça sera non. Car Nico fascine autant qu'elle fait peur. Son univers glacé est de ceux dont on peut se perdre facilement. Nico, la femme qui méprisait sa propre beauté et semblait vouloir se détester du monde entier.


Enfin bien sûr, et c'est également là le but d'un tel livre, donner envie d'écouter, de se réécouter, de redécouvrir l'oeuvre musicale de Nico. Probablement brève et chaotique sur deux décennies comparée à de nombreux autres artistes, mais intense, forte, noire comme la bile bien souvent.

Nio_Lynes
8
Écrit par

Créée

le 4 avr. 2018

Critique lue 117 fois

2 j'aime

3 commentaires

Nio_Lynes

Écrit par

Critique lue 117 fois

2
3

D'autres avis sur Nico, femme fatale

Nico, femme fatale
Marc_Chauveau
8

Ho que oui

Excellente biographie, et comme rarement dans le genre est très bien écrite, jamais dans l'adoration béate ou dans les détails sordides ou sensationnalistes.

le 11 août 2019

Du même critique

Un grand voyage vers la nuit
Nio_Lynes
5

Demi voyage nocturne

C'est toujours frustrant de voir un film avec de grandes possibilités gâchées par plein de petites choses. Et en l'état, même s'il est rare que je me livre à l'exercice de la chronique négative, je...

le 20 févr. 2019

23 j'aime

6

Üdü Wüdü
Nio_Lynes
9

Cri barbare

Üdü Wüdü comme les deux albums qui suivent sont de nouvelles directions pour Magma qui cesse momentanément ses trilogies en cours. Le premier volet de Theusz Hamtaahk est par exemple fini dans son...

le 25 avr. 2017

21 j'aime

2

If I Could Only Remember My Name
Nio_Lynes
10

Musique au crépuscule

« Quelques jours après le début des répétitions, je passai par Novato pour rendre visite à David et Christine. Ils habitaient une grande maison de campagne avec Debbie Donovan et un certain...

le 28 août 2018

16 j'aime

24