Nous sommes riches de ça et ça ne s'achète pas

À 31 ans, Kaouther Adimi signe un troisième livre passionnant, puissant, intensément vivant, qui saisit l’histoire algérienne par le prisme de la littérature et de la culture.


Tout est aussi vrai que possible dans ce roman. Edmond Charlot a bel et bien existé, il a créé la librairie « Les vraies richesses » à Alger, publié Camus, Roblès, Jules Roy, Vercors, Kessel, Gertrude Stein et tant d’autres…


Tout est vrai, mais peu est vérifiable. En effet, les archives du libraire-éditeur ont disparu dans le plasticage en 1961 d’une autre boutique qu’il avait ouverte à Alger quelques années après la première.


Alors, dans le trou d’air causé par le fait divers, Kaouther Adimi s’est engouffrée pour réinventer la vérité.
Pour raconter l’euphorie de la création et de la découverte, mais aussi les difficultés, les rivalités, les privations dues aux guerres, elle prête à Charlot une voix qu’elle distille dans un journal imaginaire d’une crédibilité totale. L’idée est lumineuse, elle offre à la romancière de nombreuses ellipses qui lui permettent de ne passer que par les moments de la vie de son héros qui l’intéressent, évitant le piège de la biographie littéraire tirant en longueur à force d’être surchargée en détails.


Par ailleurs, pour les pages contemporaines du récit, elle opte au contraire pour une voix globale, un « nous » qui exprime la voix de tout un quartier attaché à une page de son histoire en train d’être tournée de force, déchirée par la spéculation et la méfiance innée du pouvoir algérien envers la culture.


Cette douleur, elle l’adoucit de traits d’humour et de scènes cocasses (la quête des pots de peinture par Ryad), grâce notamment à une belle galerie de personnages secondaires.


Nos richesses est d’une grande fluidité et rayonne d’une belle humanité, qui donne envie d’aller traîner ses guêtres à Alger du côté de la rue Hamani, ex rue Charras, où l’on peut encore aujourd’hui admirer la vitrine de l’ancienne librairie « Les vraies richesses » – qui, en réalité, est toujours une annexe de la bibliothèque centrale d’Alger et n’est pas menacée de devenir une boutique de beignets.


En espérant que ce ne soit jamais le cas, et que Kaouther Adimi, avec Nos richesses, contribue longtemps à en perpétuer le bel esprit.

ElliottSyndrome
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs livres de 2017

Créée

le 13 nov. 2020

Critique lue 131 fois

2 j'aime

ElliottSyndrome

Écrit par

Critique lue 131 fois

2

D'autres avis sur Nos richesses

Nos richesses
ElliottSyndrome
7

Nous sommes riches de ça et ça ne s'achète pas

À 31 ans, Kaouther Adimi signe un troisième livre passionnant, puissant, intensément vivant, qui saisit l’histoire algérienne par le prisme de la littérature et de la culture. Tout est aussi vrai que...

le 13 nov. 2020

2 j'aime

Nos richesses
BS44
6

Quand les livres sont précieux

Tout au long des pages ce sont la passion et l'obstination d'Edmond Charlot qui habitent le roman. On se prend immanquablement d'affection pour ce petit éditeur d'Alger visionnaire qui a permis à...

Par

le 29 oct. 2017

2 j'aime

Nos richesses
pilyen
8

Roman riche

L'Algérie, pour nous français, reste encore une plaie vive malgré le demi-siècle qui s'est écoulé depuis la fin de la guerre. Même si une nouvelle génération d'artistes s'est emparé parfois du sujet,...

le 18 août 2017

2 j'aime

Du même critique

Un jour ce sera vide
ElliottSyndrome
6

Du trop-plein pour conjurer le vide

Pour développer ce genre d'histoire, il y a plusieurs moyens. Soit on raconte ses propres souvenirs d'enfance et, à moins d'avoir vécu quelque chose d'absolument exceptionnel qui justifie un...

le 24 août 2020

15 j'aime

3

Le Passager
ElliottSyndrome
6

Au bord de la route

(Critique provisoire, en attente de plus de temps pour faire mieux)J'ai été si déconcerté par ce roman que j'ai oublié dans un premier temps de l'ajouter à ma liste de lectures de l'année, presque...

le 16 mars 2023

10 j'aime

5