Kjell Westö est quasiment mon contemporain et l'intrigue de son bouquin, qui démarre à la fin des années 60 et se poursuit jusqu'à nos jours (le livre a été publié en 2017), me parle, ne serait-ce que pour cette raison. Non, en fait, il y en a d'autres. Mais il est vrai que "Nos souvenirs sont des fragments de rêves" est une sorte de saga, finlandaise principalement mais pas que, qui prend place dans l'Europe de ces cinquante dernières années. Oui, je déroge un peu à mes habitudes de lecteur, il ne s'agit pas de S.F, ni de polar, mais d'un roman bien ancré dans le monde réel, avec des personnages qu'on pourrait ou qu'on aurait pu croiser dans nos vies réelles.
A cet égard, le narrateur étant écrivain, ce bouquin comporte probablement des éléments et des personnages à caractère autobiographique ou du moins inspirés de la vie de son auteur. Avec une mise en abyme assez bien fichue, même si je connais pas assez la vie de Westö pour pouvoir vraiment en dire plus. Cela étant, sur un plan sociétal, le lecteur va se trouver successivement confronté à l'insouciance des années 70 avec la pop music, puis aux années 80 et à l'inéluctable montée de la révolution néo-libérale, pour arriver à notre décennie, avec l'hécatombe des migrants en méditerranée, le fossé qui ne cesse de se creuser entre Europe et proche ou moyen Orient et les tueries de masse perpétrées par des gars qui pètent un câble. Bon tout cela est un peu survolé tout de même, car si le roman fait ses 600 pages, le dessein est ambitieux et format ne se prête pas à délivrer des messages politiques : à lire plutôt comme une évocation - pour quinquagénaires ? - du monde dans lequel nous avons vécu jusqu'ici.
Après, sur un plan plus intime, la forme roman épouse bien le déroulé de la vie et les sentiments qui l'accompagnent. Il démarre clairement sur un mode roman initiatique, avec des personnages qui découvrent le monde, plein de fougue et portés par de grandes espérances. Puis viennent les premières difficultés et les crises. Et arrive, à l'approche de la vieillesse, une forme de désillusion, mais aussi de sérénité, voire de paix intérieure. Sur ce plan là, c'est très bien construit et plutôt bien écrit, avec de jolis passages assez émouvants. Pas de reproches non plus à faire s'agissant de l'épaisseur et de la consistance des personnages. Et comme dans un autre de ses livres, "Un mirage finlandais", Westö met l'accent sur les rapports entre personnages qui sont issus de classes sociales différentes et livre notamment une description, très exacte au point d'en être parfois cruelle, des clans qui composent souvent les classes dominantes.
En définitive, l'écriture, fluide mais moins ambitieuse que celle d'Un mirage finlandais, fait que ce bouquin se lit facilement, assez vite malgré sa taille, et sans essoufflement de la part du lecteur...