Avec ce livre, Jean François Billeter poursuit son remarquable travail d'exploration de la pensée de Tchouang-Tseu, loin des ratiocinations habituelles du monde universitaire.
Il montre comment Tchouang-Tseu est d'une certaine manière, à part ; comment cette pensée pourrait permettre de réunir les voies séparées des philosophies chinoises et occidentales.
Pour se faire, il met en lumière les causes d'un certain nombre de malentendus persistants et souligne que "la question philosophique et politique se pose aujourd'hui de la même façon dans le monde entier. Et le péril actuel exige qu'elle soit entièrement repensée ..."
Citant Hannah Arendt, il propose avec elle que le fondement de la philosophie politique soit désormais "l'étonnement devant la pluralité de l'homme" et c'est dans cette optique qu'il distingue en Tchouang-Tseu l'initiateur d'un dialogue véritable.
Billeter est bien au-delà de l'étude savante et à tout moment l'on sent chez lui la volonté de faire le lien à l'histoire en général et à l'époque présente en particulier et c'est bien avec les acteurs historiques que nous sommes qu'il tente de faire dialoguer la lumineuse pensée de Tchouang-Tseu, en la suggestion d'un agir possible.
On ne surprendra donc pas qu'il prête tant d'importance au sens des mots et à l'espace de l'imaginaire.
Ainsi "C'est par le sens de ces mots qu'il faut commencer. Ils sont les piliers sur lesquels le reste est bâti. Toute pensée, commune ou individuelle, repose sur eux. Tenons aussi compte du fait que le sens d'un mot fondateur est une synthèse. Il rassemble une expérience personnelle et collective - qu'il a aussi contribué à former. Cette synthèse est le résultat d'une histoire toujours particulière. Et la pensée philosophique repose sur ces mêmes bases, toujours particulières. C'est ce qui rend si difficile la communication entre des philosophies de langues différentes : les mots qu'elles utilisent ne se correspondent ni dans leur forme, ni dans l'usage qu'on en fait, ni dans l'expérience dont ils représentent la synthèse."
Jusqu'à "Revenons pour finir à l'imagination, telle qu'elle a été définie plus haut, et prenons du champ pour considérer brièvement le rôle qu'elle a joué dans l'histoire. (...) Presque toujours, les synthèses imaginaires qui se sont imposés ont servi les intérêts des minorités qui détenaient le pouvoir et disposaient des richesses. A toutes les époques, des sociétés entières ont pris cet imaginaire pour la réalité même et se sont trouvées soumises, par ce biais, aux intérêts de la minorité. Aucune classe dirigeante ne se serait maintenue si elle n'avait pas fait partager à la société qu'elle dominait une certaine vision des choses."
steka
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le 19 déc. 2011

Modifiée

le 13 mars 2014

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steka

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