J'avais d'abord lu Locus Solus, qui encore maintenant m'intrigue par son mystère opaque. Que veut dire cette œuvre? Je n'en sais rien, mais au-delà du catalogue maniaque des merveilles de Cantarel planait l'ombre d'une signification que, si je ne pouvais la nommer, au moins je pouvais pressentir.
Et puis Impressions d'Afrique...
Y'a-t-il là autre chose que l'étalage des lubies d'un excentrique crypto-Villiers de Lisle-Adam? Autre chose que les affabulations qui sentent bon la revue nègre d'un héritier disposant de beaucoup trop de temps libre pour son propre bien? Je crois y avoir bien réfléchi, je n'ai pas trouvé. Des plus malins que moi pourront peut-être m'éclairer.
Du coup, qui est Roussel? Un fumiste? Un génie trop élevé pour mon maigre entendement? Un visionnaire? Un zozo? Tout à la fois.
Si vous cherchez à ne pas répondre à cette question, il convient de lire l’œuvre théâtrale, qui est le corpus le plus chamarré qu'on puisse imaginer, souvent plein du pire, et parfois du meilleur.
Impressions d'Afrique fonctionne étrangement mieux comme pièce de théâtre que comme roman. Le déballage de bizarreries fait un peu l'effet d'une revue nègre folle, d'un barnum industriel déréglé. L'empilement d'idées fait pour moi un mauvais roman, mais peuvent faire un intéressant cabaret échevelé, débridé et interdisciplinaire (mi-spectacle de théâtre, mi-performance, mi-spectacle de monstres, mi-récital de danse, mi-tout le reste...).
Locus Solus n'a pas été adapté au théâtre par Roussel lui-même et celui qui s'y est collé a fait un boulot de cochon. Il ruine l’atmosphère mystérieuse, presque mystique du roman en y intégrant des blagues à deux balles et des plans nichons... Il transforme ce qu'on ne lit nulle part en ce qu'on lit partout. C'en est presque criminel...
L'étoile au front est une véritable punition à lire. J'ose à peine imaginer ce que ça donnerait sur scène. Il n'y a pas d'intrigues et les "personnages" empilent les anecdotes plus rasantes les unes que les autres sans discontinuer. Si on est indulgent on dira que Roussel a voulu révolutionner l'écriture théâtrale... certes. Mais si c'est pour la transformer en ce galimatias infernal, je préfère le bon vieux classique...
La poussière de soleil est probablement la plus traditionnelle des pièces ici présentées, et pourtant la plus réussie. Elle suit une chasse au trésor rocambolesque, enlevée jusqu'à l'absurde, mais qui a l'avantage de ne pas se vautrer dans l'habituelle litanie des petites marottes de son auteur...
Ce n'est même pas que j'ai un problème avec le style catalogue... c'est un style qui a donné, entre Villiers, Huysmans et Perec des choses magnifiques, mais au moins ceux-là semblaient avoir une idée d'où ils voulaient en venir avec leur grand déballage d'idiosyncrasies... Roussel? Peut-être pas... peut-être est-il resté jusqu'à la fin ce dilettante écrivain du dimanche qui était juste assez riche que pour avoir le loisir d'infliger à tous ses petites manies. Un doute subsiste en moi, effet tenace du souvenir de Locus Solus, mais plus mince à chaque fois.