Cornes, laxatif et féminisme avant l'heure

Livre étrange, inattendu dans la bibliographie d'un auteur tel que Balzac. Présentée comme une farce rabelaisienne, cette Physiologie du mariage ne s'attarde pas moins sur un sujet de société presque tabou à l'époque de sa sortie. Dès les premières pages, l'auteur prévient en effet ses lecteurs incrédules qu'ils tiennent entre leurs mains un guide d'un genre particulier: un manuel de survie conjugale destiné à apprendre aux maris à ne pas se retrouvés cocufiés, ou "minotaurisés" pour reprendre la gouleyante expression de Balzac !

Sexisme ! Misogynie ! Brûlez ce livre ou réécrivez-le pour le censurer, bonnes gens du XXIème siècle !

Sauf que... Très rapidement, le véritable projet de l'auteur se dévoile aux détours de quelques phrases assassines. Si tant de femmes sont infidèles, ce serait à cause de leurs maris et des coutumes ineptes de cette France du XIXème siècle. Au nom de la tradition, les réalités humaines ne seraient pas assez prises en compte. Rendues prisonnières de la bienséance, les jeunes filles se voient tout bonnement interdit de vivre jusqu'au jour de leur mariage. L'homme est alors présenté comme un libérateur, un sauveur: celui qui donnera à la femme un vrai sens à sa vie !

Le retour sur terre est rude. La plupart des hommes se révèleraient incapables, selon l'auteur, d'être à l'écoute attentive des besoins de leur femme. Toujours aussi prisonnière que dans sa prime jeunesse, celle-ci cherche alors l'évasion dans une aventure adultérine...

Nous ne nous attachons d'une manière durable aux choses que d'après les soins, les travaux ou les désirs qu'elles nous ont coûtés.

La demande de Balzac ? Libérer les jeunes filles pour qu'elles puissent profiter pleinement de la vie et acquérir de l'expérience qui leur servira à consolider leur futur hymen. Idée révolutionnaire pour l'époque ! Balzac se trompait bien sûr: aujourd'hui, en Occident, la femme a enfin accédé à cet affranchissement social et sexuel dès l'adolescence, ce qui n'a absolument pas aboli les mariages malheureux ni empêché le nombre de divorces d'exploser dans une logique purement capitaliste (la vie à deux n'étant plus qu'une marchandise parmi d'autres).

Le message profond de cette Physiologie du mariage est donc parfaitement raccord avec la vision féministe actuelle. Mais, pour s'en apercevoir, il faut gratter l'humour un peu potache, et assez répétitif, de Balzac, comprendre et accepter la parodie qui ridiculise d'ailleurs avant tout la gente masculine: je me suis personnellement beaucoup amusé avec l'anecdote de la belle-mère qui met un laxatif dans la boisson de son gendre avant de trouver un prétexte pour enfermer celui-ci dans une pièce avec sa maitresse. Le reste, c'est caca, prout et hurlements de jeune femme, du South Park avant l'heure, j'vous dis ! D'autres passages du livre, prenant décidément très au sérieux cet aspect "guide de survie", seront par contre beaucoup moins amusants, voire franchement lassants.

Cet essai vaudevillesque trouve pourtant un niveau de lecture inattendu dans ses dernières pages: le mariage, malgré le piège de la passion qui finit inévitablement par s'étioler et risque de mener à l'indifférence, est une nécessité sociale, un moindre mal pour quiconque souhaite mener une vie dans le monde. Celui (et celle ?) qui refuse les aléas d'une vie à deux n'a plus qu'à se lancer dans une quête spirituelle, à la recherche de Dieu, seul capable de remplir une vie que l'on aurait choisi solitaire.

L'Homme a une vocation pour l'infini. Il y a en lui un instinct qui l'appelle vers Dieu. Dieu est tout, donne tout, fait oublier tout, et la pensée est le fil qu'il nous a donné pour communiquer avec lui.

La question qui se pose pour nous, lecteurs du XXIème siècle, si prompts à renier aussi bien les noces terrestres que célestes, la vie familiale et la vie spirituelle: que nous reste-t-il pour occuper notre néant ?

Bénie soit la société marchande, qui répondra avec plaisir à notre si légitime question...