Pike
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Pike

livre de Benjamin Whitmer (2010)

« Neige noire et gaz d’échappement. Des enfants aux cheveux plats farfouillent dans les rochers mazoutés comme une volée de pies en quête de n’importe quoi de brillant. » (p. 217)

La jeune maison d’édition Gallmeister nous a habitué ces dernières années à publier de très bons romans américains : romans des grands espaces (« Sukwann Island » de David Vann, ou encore « Indian Creek » de Pete Fromm) mais également des polars de choix dont les très bons livres de Craig Johnson.
Dans un registre quelque peu différent, Benjamin Whitmer sort son premier roman, « Pike » qui se révèle être un petit bijou de noirceur.

Pike, c’est le nom d’un ancien truand qui s’est rangé des bécanes. Pas question cependant de se ramollir lorsqu’il apprend que sa fille a fait une overdose. Si les raisons de ce décès semblent aller de soi (l’overdose n’étant en effet pas une mort très originale pour une junkie), Pike, lui, n’a de cesse d’enquêter sur les raisons de cette disparition. Dans son entreprise, il est accompagné de son ami Rory ainsi que de sa petite fille, Wendy, désormais orpheline. Nullement attendrie par la présence constante de son chat Monster, cette sale gamine possède un langage fleuri et a la langue bien pendue : « Va t’astiquer tout seul, pine d’huitre ! » (p.63).

D’un autre côté, Derrick Krieger, flic véreux, mène son petit bout de chemin fait de magouille et de justice arbitraire. Cependant, cet homme semble connaître Wendy. Krieger et Pike, ces deux brutes épaisses sans états d’âme sont voués à se rencontrer et il semble évident que tout cela finira dans un bain de sang.

La grande qualité de Benjamin Whitmer est sa capacité à insuffler un véritable souffle à son récit, si fétide soit-il. Il s’en dégage une dureté et une crudité incarnée par ses protagonistes, notamment Derrick, ce représentant de la loi adepte des exécutions sommaires. Quoique la ‘justice’ qu’il applique n’est jamais que le fruit de son rapport à l’ordre :

« Pour sa première affaire, il avait trouvé une fillette de six ans avec les intestins qui lui sortaient du trou du cul, et sa mère à côté qui refusait de faire une branlette à son copain. Copain debout contre un mur, un sourire mauvais aux lèvres, la bite puant encore la merde. Puis, le même jour, il avait arrêté un gosse pour traffic d’herbe. La loi n’est jamais suffisante et toujours excessive. » (p.29)

Pike est un vieil homme hanté par ses souvenirs, à commencer par les regrets qu’il nourrit face à cette vie de famille qu’il n’a jamais connu. Cependant, si on sait qu’il ratonnait la mère de sa fille, ses tendances à la violence comme unique moyen de communication restent d’actualité.

Son comparse Rory est également en chantier. Ce dernier est un boxeur en quête de renommée. Selon lui, la gloire n’est plus très loin. Même si tout le monde en doute, à commencer par le lecteur. La boxe est pour lui l’ultime défouloir pour combattre ses propres fantômes.

Afin d’égayer un peu ce duo déglingué, un jeune homme vient se greffer à l’enquête périlleuse. Bogey, jeune homme louche, drôle et pathétique à la fois. Il serait presque sympathique s’il n’était pas un sociopathe doublé d’un enfoiré de première. Bref, pas vraiment le type à qui on donnerait le bon dieu sans confession.

« Pike » est un roman qui suinte la crasse et sent le tabac. On suffoque et on grelotte dans ce récit embourbé dans la neige souillée. Le Cincinnati de Whitmer est gorgé de putes et de truands, les âmes vagabondes qui hantent ces rues n’ont pas droit de cité et la chaire, elle non plus, ne vaut pas trois kopecks. Si la vie ne tient à rien c’est parce qu’elle est sans valeur. Inutile de préciser qu’ici, les dommages collatéraux sont sans importance.

D’autre part, Whitmer possède un certain talent pour dresser des historiques concis et percutants de ses personnages. Il a également un don pour les répliques bien senties, en témoigne cet échange verbal, page 211 :

« Vous n’aviez pas l’air très chaud pour négocier l’autre soir, quand vous êtes passé voir Dick Fleischer.
-Fleischer n’est qu’un sac à merde. Je ne négocie pas avec la merde.
-Je vois. »

Ainsi quelques rares saillies humoristiques viennent transpercer ce roman à la tonalité bien plus grave.
« Pike » est un roman assez fabuleux. On a l’impression d’avoir affaire à Russell Banks qui aurait trempé sa plume dans un seau de suie. Pas question de sortir indemne de ce puits de ténèbres. Ca flingue sec et les dents volent en éclat. Le lecteur est littéralement percuté dans ce livre d’une noirceur incroyable porté par un style puissant.
SuperLibraire
8
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le 6 nov. 2012

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Anthony Boyer

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