On m’a survendu Pommerat : « Tu verras, il éclaire le mythe », « Il montre que les contes ne sont pas que pour les enfants », « Ça se lit d’une traite »… Mais même sans cela, lire Pinocchio m’aurait gonflé. Sérieusement, on apporte quelque chose au théâtre en faisant parler ses personnages comme des pré-adolescents ?
Mettons, une réplique comme « PREMIER ESCROC (s’énervant). Dépêche-toi / On va pas rester comme ça pendant des heures toute la nuit. / Mets ton argent dedans. / C’est pas vrai, vas-y… allez !!! » (p. 30 en « Babel »). Elle cumule presque tous les partis pris que je déteste dans un texte de théâtre, illustrés à chaque page ou presque de ce Pinocchio. Primo, le langage de môme de douze ans, donc, parce que, voyez-vous, une partie du public ne peut comprendre que ça, parce que ce n’est pas à la littérature de tâcher de le rendre un peu moins con qu’il ne l’est déjà, et parce que pour l’élite des spectateurs, c’est tellement attendrissant, tellement nature de retourner en pré-adolescence. Secundo, cette ponctuation qui ne signifie rien – les retours à la ligne – ou qui sursignifie – trois points d’exclamation pour le prix d’un. Tertio, la didascalie qui redouble le texte, histoire de bien comprendre que le ton du personnage est vif.
Je lis, dans la « Postface » visiblement pédagogique de Marion Boudier, que « Pommerat se définit comme “écrivain du spectacle” : le texte publié n’est pas un préalable à la mise en scène mais le résultat d’une écriture scénique (ou écriture de plateau) élaborée pendant les répétitions en collaboration avec l’équipe artistique » (p. 88-9). Ça se voit. Difficile de faire deux choses à la fois, hein ? J’espère que les répétitions étaient plus réussies que l’écriture…
J’y lis aussi, et c’est le dramaturge lui-même qui parle : « Lorsque je parle aux enfants, je ne deviens pas étranger à moi-même. Je n’imite pas, je ne copie pas leur langage » (p. 86). Sérieusement ? Soit ce discours n’est qu’une énième variante d’artiste, ici plus ou moins roublarde, sur les thèmes convenus et mêlés du quotidien transformé en art / de la magie de l’enfance / d’une esthétique du naturel / etc. Soit, effectivement, dans la vie de tous les jours, Pommerat s’exprime comme les personnages de sa pièce, ce qui doit être terrible au moins pour son entourage. (Je n’ose ni ne prétends envisager une autre explication.)
Bref. Pour en venir au mythe – car c’est bien de ça qu’il s’agit – de Pinocchio et à son traitement dans la pièce, ce n’est guère plus réussi. On sait depuis au moins Bettelheim que tout conte de fée recèle un sous-texte, dans lequel il est généralement question d’initiation, avec la part de cruauté que cela implique. Pinocchio ne fait pas exception à la règle : « Une fois ce garçon devenu jeune homme, il n’y a pas que son nez qui grandisse, si vous voyez ce que je veux dire », expliquait à ses élèves un professeur de français que je connais. S’ajoutent, dans le cas de ce conte précis, les thèmes de la création, de la morale, de l’errance. Or, sous cet angle-là, le texte de la pièce de Pommerat n’apporte strictement rien – rien d’autre, rien de plus – par rapport au récit de Collodi.

Alcofribas
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le 8 août 2017

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