Apprends à vivre dans toi-même, Vois, écoute et sache te taire !

Poète russe (1803-1873), contemporain de Pouchkine, Tiouttchev mérite d'être mieux connu en France. Tous deux représentent la poésie russe classique. Je ne connais que trois recueils de Tiouttchev traduits en français. Ce grand poète lyrique passa près de trente ans en Allemagne comme diplomate. L'influence de Heine et de Goethe, son amour de la nature et son panthéisme imprègnent sa poésie de romantisme. D'autres poèmes annoncent le symbolisme. Tiouttchev est hanté par le chaos des passions humaines : l'amour passion (les deux femmes qu'il aima sont mortes dans ses bras) comme les passions politiques (sa slavophilie est populaire en Russie). Ses poèmes d'inspiration philosophique, remarquablement denses et intenses, révèlent une riche vie intérieure.


Traduire la poésie est une activité délicate. Je vous propose trois versions de mon poème préféré de Théodore Tiouttchev (Fiodor Tutchev) : Silentium :
1. Je vote pour celle de Katia Granoff, publiée dans son "Anthologie de la poésie russe" en Poésie/Gallimard (1993) :
"Dissimule dans le silence
Tes sentiments, tes espérances ;
Qu'ils montent et plongent sans bruit,
Étoiles brillant dans la nuit ;
Que ton âme dans son mystère,
Les admire et sache se taire !


Ton cœur, tu ne peux l'exprimer,
Et qui te comprendrait jamais ?
Pour d'autres, que sont-ils tes songes ?
La pensée dite est un mensonge.
Ne trouble pas, en les creusant,
Les sources... Bois en te taisant !


Apprends à vivre dans toi-même,
En ton cœur tu caches des gemmes ;
Un monde est dans ses profondeurs,
Plein de chansons et de lueurs
Qu'étouffent les bruits, les lumières...
Vois, écoute et sache te taire !"



  1. Voici une deuxième version de "Silentium" par Paul Garde dans "Poésies", publiée chez L'Age d'Homme dans la collection Classiques slaves en 1987 :
    "Ne dis rien, et garde cachés
    Tes sentiments et tes pensées.
    Laisse-les donc dans ton esprit
    Paraître et s'enfuir sans un bruit,
    Tel l'astre en son cours aérien.
    Contemple-les, et ne dis rien.


Qui peut exprimer ses soucis ?
Comment être compris d'autrui ?
Narrer sa vie sans la trahir ?
Dire sa pensée, c'est mentir.
En l'agitant, on gâte un vin.
Abreuve-t-en, et ne dis rien.


Vis en toi-même, seul et fier.
Ton âme est un vaste univers
De penser mystérieux, hardis.
Ils sont étouffés par les bruits,
Ils fuient les rayons du matin.
Entends leur chant, et ne dis rien."



  1. Enfin je termine par une version d'E. Rais et J. Robert : "Anthologie de la poésie russe." chez Bordas en 1947 :
    "Tais-toi et garde en toi
    Tes sentiments et tes rêves.
    Dans les profondeurs de ton âme,
    Qu'ils s'élèvent et déclinent
    En silence, comme les étoiles dans la nuit.
    Sache les contempler et te taire.


Le cœur – saurait-il s'exprimer ?
Un autre – saurait-il te comprendre?
Peut-il entrer dans ta raison de vivre ?
Toute pensée qui s'exprime est mensonge.
En les faisant éclater, tu troubleras tes sources.
Sache seulement t'en nourrir et te taire.


Apprendre à ne vivre qu'en soi-même!
Dans ton âme est tout un monde
De pensées magiques et mystérieuses.
Le bruit du dehors les assourdira
Les rayons du jour les dissiperont.
Sache écouter leur chant et te taire."


Qu'en pensez-vous ? Quelle traduction préférez-vous et pourquoi ?

lionelbonhouvrier
7

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le 17 juil. 2019

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