Pour ses rares adeptes, Pornarina est un être mythique. Une déesse vengeresse chargée de laver les péchés des hommes dans le sang. Un hybride monstrueux conjuguant les attributs de la féminité à une mâchoire et tête chevalines. Une créature contre-nature arpentant les territoires interlopes de l’esprit humain et semant derrière elle les cadavres mutilés, comme un Petit Poucet sanguinaire. Depuis cinquante années, elle parcourt l’Europe, prostituée racolant sa clientèle auprès des pervers et déviants pour leur offrir les spasmes d’une petite mort définitive. D’aucuns aimeraient réduire cette figure castratrice à un banal émule des tueurs en série, l’auscultant à l’aune de la criminologie. Erreur ! Pornarina est bien plus que cela. Aux yeux des pornarinologues les plus fanatiques, la-prostituée-à-tête-de-cheval apparaît comme la matrice d’un légendaire s’enracinant dans le folklore et les contes. À plus de quatre-vingt-dix ans, le Dr Franz Blazek, connu de tous pour sa passion de la tératologie, nourrit l’espoir secret de capturer Pornarina pour en faire la pièce maîtresse de son cabinet de monstruosités. Il a d’ailleurs formé sa fille adoptive Antonie, créature solitaire capable de modeler son corps comme un morceau de guimauve, pour accomplir son dessein. Quitte à éliminer les éventuels concurrents…


Ne tergiversons pas : on a beaucoup aimé Pornarina. On a tremblé de dégoût, contemplant le spectacle des perversions de ses zélotes, une longue liste de dépravations dont Raphaël Eymery se plaît à dresser le compte-rendu imagé et morbide. En un court roman, déroulé en quatre mouvements sinueux entrecoupés d’autant d’ellipses, on oscille entre fascination et répulsion, deux émotions très proches dont l’irrationalité hante les recoins les moins fréquentables de la psyché. On s’est effrayé aussi des pulsions de violence ponctuant l’itinéraire d’Antonie, démembrements, émasculations, décapitations et autres séparations corporelles choquantes, des actes propices au jaillissement de l’hémoglobine et qui offrent un contrepoint cathartique à la tension baignant les péripéties de sa quête. Mais au final, on ne peut s’empêcher de se sentir un tantinet insatisfait, frustré par un horizon d’attente qui se dégonfle comme une baudruche. Déçu également par une fin laissée trop ouverte, pour ainsi dire en devenir. Et pourtant, les choses s’annonçaient prometteuses. Inventif, habile pour tisser une atmosphère, Raphaël Eymery ne manque pas non plus de références cinématographiques et littéraires. En vrac, Joris-Karl Huysmans, Thierry Di Rollo, Thomas Ligotti, Tom Piccirilli, Thomas Harris, Frank Mignola et Mervyn Peake. Rien que du beau monde ! De quoi rendre Pornarina diablement addictif sans céder pour autant au pastiche, l’exercice étant ici finement digéré.


Pour toutes ces raisons, il sera donc beaucoup pardonné à Raphaël Eymery, d’autant plus qu’il s’agit ici d’un premier roman qui augure du meilleur.


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leleul
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le 2 déc. 2018

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