C’est plutôt bien joué, ce roman qui joue vraiment sur les codes de la série Z benête. C’est-à-dire sans cacher un caractère foncièrement benêt derrière un trop discret jeu sur les codes. À l’inverse, Pornarina n’exhibe pas ce jeu sur les codes, comme pouvait malheureusement le faire, dans un registre assez proche, Dirty Sexy Valley d’Olivier Bruneau. On a là un de ces faux navets / vrais nanars à propos desquels tout embryon de commentaire mènerait vite à des considérations bien trop éloignées de cette critique.
Comme son titre l’indique implicitement (1), le roman met en scène la quête d’une sorte de Prostituée Suprême, à demi mythique, par un groupe de chasseurs / admirateurs (2) dont elle est le fantasme absolu. Pour ces doux illuminés / adeptes meurtriers (3), traquer la-prostituée-à-tête-de-cheval (l’autre nom de Pornarina) s’apparente explicitement à une quête du Graal. Dans leur petit cercle, « la nature fantastique ou non de Pornarina […] était un débat remporté de longue date par les partisans de la cause mythique » (p. 100 de l’édition de poche), mais ils continuent naturellement à chercher, comme si c’était un loisir, et sans qu’on sache vraiment si c’est la Prostitution, la Femme ou la Quête qui les attire.
Parmi eux figure le docteur Blažek, tératophile avéré et propriétaire / père adoptif (4) de la souplissime Antonie / Antonia, jeune fille élevée pour tuer, à côté de laquelle l’agent secret le plus discret d’Assassin’s Creed fait figure de pachyderme inoffensif. Son itinéraire constitue le fil rouge du roman, qui alterne narration à la troisième personne, extraits de correspondance et digressions encyclopédiques – notamment des listes de monstres, où le lecteur sera éventuellement intrigué de trouver « l’artificielle Ève Vallois » (p. 24), et moins surpris de l’y avoir trouvée une fois qu’il sait quel pseudonyme cache Ève Vallois.


Tout ceci étant précisé, faut-il être surpris par une scène telle que « Arrachant les toiles d’araignées, deux petites filles couraient entre les colonnes d’un souterrain. Elles portaient des robes grises avec de gros nœuds. Elles criaient “Cherchez l’obèse ! Cherchez l’obèse !” et brandissaient chacune un pieu. Des adultes silencieux les suivaient » (p. 163) ?
Est-il encore utile de dire que Pornarina ressemble à une grande marmite dans laquelle on aurait mélangé le Freaks de Tod Browning, la Famille Addams, les pages « tueur en série » de Wikipédia, les diverses décapitations du Caravage, Ann Radcliffe, le Nouveau Détective et quelques babioles pour faire le liant ? Peut-être est-il plus intéressant de préciser que l’ensemble se digère parce que Raphaël Eymery sait écrire : « Le vent se fendait sur les piques sans fanion des tourelles du château fort » (p. 21), c’est le genre de phrases que j’aime bien.
D’autre part, l’un des atouts de Pornarina est de sortir régulièrement de la fiction elle-même, par des digressions encyclopédiques, comme je l’ai dit, mais aussi par des considérations plus subjectives qui relativisent explicitement la portée de la fiction, ce qui est toujours gage d’intelligence : « En ce siècle naissant où les vices de la télévision – publicités et programmes débilitants – glissent, nullement amoindris, jusque sur Internet, siècle où des Arès gonflés de drogues frappent des ballons dans des stades et où des Vénus gonflées de plastique ne savent plus qu’être des orifices propres, en un tel siècle, la traque de Pornarina fait figure de quête poussiéreuse : le plus grand nombre l’ignore comme il le fait de la quête du Graal » (p. 87).
Parce qu’au bout du compte, on se retrouve avec de la fiction qui s’exhibe comme fiction : « Comme ce jeune garçon, Carlyle, vous avez tant de fois crié Au loup ! et, ce faisant, êtes entré dans l’espace fictionnel » (p. 219), dit un personnage à un autre. Ailleurs, c’est ce même personnage qui, « depuis qu’il vivait au temple, […] ne se souciait plus de dissocier mensonges, fantasmes et réalité » (p. 201). Là, le lecteur peut se sentir concerné, ce qui n’est jamais une mauvaise chose. Surtout quand le roman ne se termine pas vraiment.


(1) Porno + Fornarina = Pornarina. Je crois qu’il y a des pages là-dessus dans le livre.
(2) Depuis qu’on m’a dit que les chasseurs aimaient les animaux, les deux mots sont peut-être synonymes, non ?
(3) Rayer la mention inutile.
(4) Là, je ne vois pas comment justifier la barre oblique : « Antonie, c’est d’abord un monstre ; elle est devenue une fille ensuite » (p. 119) ?

Alcofribas
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le 8 janv. 2020

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