Je crois que le dialogue, à la différence de l'expression qui devrait être une prise de liberté pure et dure, est quelque chose de parfois fatalement compliqué, comme un rapport de force nécessaire à ce qu'il prenne sens, dont on voudrait alors, et c'est peut-être la raison des difficultés, qu'il nous donne des résultats davantage absolus. Le matérialisme s'y impose parfois comme la voix juste, encore faut-il qu'elle sache se défendre ; parfois le spirituel s'y impose comme solution à l'indicible ; ou alors l'émotionnel fait valoir l'empathie essentiel, toujours en premier et dernier recours. Et parfois dans le meilleur des cas rien ne s'impose, et l'équilibre, si le sujet est politique et tient à coeur, se fait dans une digestion légèrement frustrée de tous les bords, de ne pas être convaincu ou de n'avoir pas convaincu. Cette légère frustration du dialogue, je disais, est le meilleur des cas du débat politique, pour le moral en tout cas, lorsque l'échange d'idées constructif s'arrête là où les convictions restent à leur place, ou s'équilibrent dans la douceur.


La contradiction cela dit parfois gonfle un peu trop. Elle gonfle et nous gonfle, on voudrait crever l'abcès.


Refuser le dialogue devant la contradiction trop invasive, c'est un droit précieux. Que l'autre le prenne comme un échec et cherche à clarifier, semble tout aussi légitime, notamment sur les sujets trop polémiques. Très vite chaque bord voit chez l'autre dans le dialogue le parangon de la dictature, par des biais variés, si bien que tout le monde au nom de la liberté d'expression semble en vouloir la peau.


J'ai la chance personnellement comme beaucoup de m'épanouir dans le solyloque, c'est mon oasis éternelle, qui relativise tous les débats impossibles. Qui les digère même.


Aujourd'hui je voudrais digérer mon idéologie, je n'aime pas ce mot, disons mon credo du moment.


Quel est mon crédo tiens? Vous vous doutez bien que ce n'est pas simple.


Mon credo, non a priori comme un choix idéologico-graphomanique, mais davantage comme un constat à force de me relire parfois perplexe, est de me projeter sur un horizon impossible, sans jamais oublier d'exposer l'impossibilité de cet horizon, et d'espérer que dans le fossé qui existe entre l'horizon et moi, quelque chose finira toujours par tirer le monde vers le mieux. Je suis un grand présomptueux.


C'est un fantasme, mais le plus honnête de mes fantasmes, au sens qu'il est celui qui s'impose à moi,
disons qu'il est le fantasme naturel, parmi ceux que j'aime le plus partager, auquel j'aime le plus penser, et réfléchir dans l'intimité, seul à seul avec moi-même...
s'il est le résultat manifeste de mon écriture, qui me saute aux yeux lorsque je me relis, c'est peut-être parce qu'implicitement ce fantasme est le seul que j'écris, et que je dérive inlassablement chaque jour dans de nouvelles tournures, et de nouveaux contextes.


Il y a cela dit en moi quelque chose qui voudrait être directement utile, embrasser des causes politiques au risque presque certain de me compromettre au moins un peu dans mon honnêteté, cette chose je la sens depuis toujours, depuis tout petit (depuis que j'observe des sales trucs dans la vie), et je ne la comprends mieux que depuis peu, grâce à Montaigne notamment, et à sa théorie de l'utile et de l'honnête, et à travers ce livre, Pour un populisme de gauche, j'entrevois la simple suggestion comme une tentation, d'embrasser une cause qui se ferait plus stratégique, et davantage utile que tout à fait honnête.


L'exemple est frappant dès le début du livre, j'y retrouve le raisonnement que je vous soumets, je le retrouve sous des termes et des enjeux politiques, quand moi je vous parle essentiellement de philosophie, ou de simple réthorique peut-être, la frontière est floue.


L'auteure explique qu'elle a longtemps rêvé de voir évoluer les partis socialistes de France, vers une opposition plus franche à la politique néolibérale, vers une posture davantage revendicatrice et capable - pour davantage de fraternité, d'égalité et de justice sociale... la liberté suivra...
ce changement fantasmé dans la douceur, est en quelque sorte la voie de l'honnête, du moment en tout cas que l'impossibilité de cette voie n'est pas constatée. Une fois constatée, dans l'introduction qui fait le bilan succint des ouvrages précédents de l'auteure, une fois l'impossible constaté donc, c'est le "moment populiste" (de gauche) qui s'impose comme un nouveau fantasme d'abord de l'utile, et aussitôt donc, de l'honnête, pour celui comme moi qui se fantasme utile.


C'est l'idée de faire un choix dans le choix politique que nous offre l'ochlocratie actuelle (système politique, pronostiqué dès l'antiquité par Polybe, que le livre appelle post-démocratie):
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Ochlocratie
entre démagogie, mort de la politique, et une forme de populisme. Trois choix donc, grossièrement : car si la démagogie est la mort de la politique (la réciproque n'est pas vraie, la mort de la politique n'est je crois pas forcément une idée démagogique) le populisme, lui, peut être en gros de gauche ou de droite.


Un peu comme Meursault dans L'Étranger de Camus, ébloui comme dans un grand flash, je déciderais enfin de dégainer, pas sur la plage contre un arabe, qui est mon frère dans cette lutte au même titre que le citoyen caucasien, non pas par la violence non plus qui est la pire des défaites, mais par ce nouveau fantasme politique, qui aurait peut-être la présomption, qui plus est, de ne pas être essentiellement littéraire, et aurait l'avantage aussi de ne pas m'envoyer en prison comme ce pauvre Meursault qui porte bien son nom.


Et dans un troisième temps, les deux fantasmes soudainement se côtoient en moi, celui d'un rêve démocratique absolu, utopique, d'expression libre et magique, qui guide mes postures de chaque instant, dans l'écriture et vis-à-vis des autres, foi inexplicable dans le dialogue, aussi compliqué soit-il parfois ; et celui d'un rêve de moment populiste de gauche, à travers lequel je déciderais de mes engagements politiques tactiques en faveur toujours d'une justice sociale.


Peut-être ce dédoublement s'évanouira-t-il à la fin de ma lecture, ou s'incarnera-t-il, ou peut-être un peu des deux, ira-t-il vers une autre forme, la définition que donne l'auteur du populisme offre des perspectives:


afin de dissiper tout éventuel malentendu, je commencerai par spécifier ce que j'entends par "populisme". Écartons le sens péjoratif du terme tel que l'ont imposé les médias pour disqualifier tous ceux qui se sont opposés au statu quo, je suivrai l'approche analytique développé par Ernesto Laclau que je trouve, en la matière, particulièrement féconde.
Dans son livre La raison populiste, Laclau défini le populisme comme une stratégie discursive établissant une frontière politique qui divise la société en deux camps et appelle "ceux d'en bas" (underdog) à se mobiliser contre "ceux qui sont au pouvoir". Le populisme, en ce sens, n'est pas une idéologie et il ne présente aucun contenu programmatique particulier. Ce n'est pas non plus un régime politique. C'est une façon de faire de la politique, qui peut prendre différentes formes idéologiques selon le moment et le lieu, et qui est compatible avec différents cadres institutionnels. On peut parler de "moment populiste" quand, sous la pression de transformations politiques et socio-économiques, l'hégémonie dominante se trouve déstabilisée par la multiplication de demandes insatisfaites. Dans pareilles situations, les institutions existantes, dans leurs efforts pour défendre l'ordre en vigueur, échouent à s'assurer l'allégeance du peuple. En conséquence, le bloc historique qui fournit la base social à un système hégémonique se désagrège et il devient alors possible de construire un nouveau sujet d'action collective - le peuple - capable de reconfigurer l'ordre social considéré comme injuste
.


Bref, pour l'instant je m'y complais, dans mon dédoublement, mi-absolu mi-effectif, autant que j'aime croire que je suis vraiment mi-Aragorn mi-Frodon (mi-Gollum aussi), lorsque je lis le Seigneur des Anneaux.


Toute cette pensée germe naturellement en moi à la lecture de la simple introduction. Je ne vais pas m'essayer ici à résumer le livre en soi, déjà pas très gros et probablement aussi clair que possible dans son propos. Je me permettrai cela dit de conclure en vous engageant à le lire, par la recopie de morceaux choisis des premier et deuxième paragraphes du premier chapitre 1. Le moment populiste:


Je tiens à préciser d'emblée que mon but n'est pas d'ajouter à la pléthore d'études déjà consacrées au populisme ; je n'ai aucunement l'intention d'entrer dans le débat académique, à mes yeux stérile, qui consiste à s'interroger sur la "vraie nature" du populisme. Ce livre est conçu comme une intervention politique et il ne cache absolument pas son caractère partisan. J'expliquerai ce que j'entends par "populisme de gauche" et je montrerai que, dans la conjoncture actuelle, il est la stratégie dont nous avons besoin pour revitaliser et approfondir les idéaux d'égalité et de souveraineté populaire constitutifs d'une politique démocratique.
La perspective théorique qui est la mienne, en tant que théoricienne du politique, emprunte beaucoup à Machiavel, qui, comme l'a rappelé
Althusser, s'est toujours inscrit "dans la conjoncture". Suivant ainsi l'exemple de Machiavel, j'inscrirai ma réflexion dans une conjoncture particulière, en essayant de trouver la "vérité effective" (ce qu'il appelait La verità effectuale della cosa) du "moment populiste" que connaissent aujourd'hui les pays d'Europe occidentale. Je limiterai mon propos à l'Europe occidentale, car si la question du populisme est assurément tout aussi vive en Europe de l'Est, ces pays requièrent une analyse spécifique. En effet, ils sont marquées par une histoire singulière, il y a l'expérience communiste, et leur culture politique diverge sensiblement de la nôtre. Cela est vrai aussi des diverses formes de populisme que l'on rencontre en Amérique latine. S'il existe un "air de famille" entre ces différents populismes, ceux-ci s'ancrent dans des conjonctures particulières qui exigent qu'on les considère dans les contextes qui leur sont propres. Mais mon analyse de la conjoncture des pays d'Europe occidentale fournit aussi, je l'espère, des éléments utiles à la compréhension d'autres situations populistes."


Si le peuple veut son moment, alors le plus absolu des gauchistes, à tendance démocrate, comme moi et Chantal Mouffe je crois, semble vouloir le lui donner. En cela le moment populiste de gauche selon l'auteure veut et devrait pouvoir, devrait pouvoir se faire fédérateur, car il contient dans son message compliqué qui est celui de la justice sociale et d'une démocratie réveillée, et intrinsèquement celui d'un rêve de cohésion massive (autour de demandes peu nombreuses, précises et ciblées contre l'oligarchie, la finance et le marché, dans un monde simplifié à sa valeur agonistique peuple/oligarchie), l'élément nécessaire à tout soulèvement populaire : c'est à dire la cohésion optimale (qui ne sera jamais unanime, le livre n'est pas dupe) multi-races, multi-classes, multi-genres, multi-religions, multi-prises,
la focalisation sur les solutions concrètes et explicites, et aussitôt peut-être, c'est mon idée, la chute de la violence... car la colère perd les pédales souvent lorsque l'homme ne sait pas encore exactement ni ce qu'il demande, ni les causes clarifiées de la violence étatique qu'il combat.


Notamment dans ce livre on remonte au Thatchérisme et tout, au-delà de compléter succinctement la connaissance du système actuel, on comprend à quel point, en ce qu'il s'est imposé si vite, l'espoir qu'il disparaisse aussi vite n'est pas vain, et qu'au delà d'un retour en arrière, une prise de conscience collective peut mener vers du nouveau, et du mieux.

Vernon79
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le 20 déc. 2018

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