Hugo l'humaniste.

• Tu te perds dans le nuage


• Et vous dans le calcul.


• Il y a du rêve dans l'harmonie


• Il y en a aussi dans l'algèbre


• Je voudrais l'homme fait par Euclide


• Et moi, dit Gauvain, je l'aimerais mieux fait par Homère.

Le sourire sévère de Cirmoudain s'arrêta sur Gauvain comme pour tenir
cet âme en arrêt.

• Poésie. Défie-toi des poètes.


• Oui je connais ce mot. Défie-toi des souffles, défie-toi des rayons, défie-toi des parfums, défie-toi des fleurs, défie-toi des
  constellations.


• Rien de tout cela ne donne à manger.


• Qu'en savez-vous ? l'idée aussi est nourriture. Penser, c'est manger.


• Pas d'abstraction. La république c'est deux et deux font quatre. Quand j'ai donné à chacun ce qui lui revient...


• Il vous reste à donner à chacun ce qui lui revient...


• Qu'entends-tu par là ?


• J'entends l'immense concession réciproque que chacun doit à tous et que tous doivent à chacun, et qui est toute la vie sociale.


• Hors du doit strict il n'y a rien.


• Il y a tout.


• Je ne vois que la justice.


• Moi, je regarde plus haut.


• Qu'y a-t-il donc au-dessus de la justice ?


• L'équité.

Par moment il s'arrêtait comme si des lueurs passaient. Cimourdain
reprit :

• Précise, je t'en défie.


• Soit. Vous voulez le service militaire obligatoire. Contre qui ? contre d'autres hommes. Moi, je ne veux pas de service militaire. Je
  veux la paix. Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la
  misère supprimée. (...)

Quatrevingt-treize est paru en 1874, il a pour toile de fond les plus terribles années de la Révolution française : la terreur.

Le style de Hugo est toujours aussi agréable à lire même si son lyrisme n'est pas aussi affuté que dans des romans tels que l'homme qui rit ou Les misérables. Reste que sa plume est sans égal et que notre Victor Hugo demeure ce monument de la littérature française.

Les thèmes abordés sont archi-classiques chez cet auteur : l'amour, la famille, le dégoût de la peine de mort, la religion etc tout ça lié sur un fond d'histoire comme seul sait le faire Hugo.

L'intrigue de l'histoire fait son chemin sur les trois quart du roman et peut donner le sentiment que ce roman traine en longueur... Mais le dénouement est si grandiose que ça vaut le coup de patienter.

Victor Hugo nous livre une réflexion mûrie sur la Révolution française et plus particulièrement sur la période de "la terreur". On sent que l'auteur a longtemps réfléchi sur la question en n'offrant pas d'avis tranché et cherche bien plus a dépasser les contradictions de cette période de notre histoire. Cela nous pousse inévitablement à prendre du recul sur ces événements (la terreur, la guerre de vendée etc)

Enfin ce qui est passionnant c'est l'implication du grand Hugo, cet humaniste presque avant-gardiste, qui émane de chacun de ses mots. Le long dialogue de fin entre Cimourdain et Gauvain (extrait ci-dessus) est délectable en ce qu'il est presque une profession de foi cachée de la part de l'auteur. S'il appuie chacune de ses idées à grand coup d'envolée lyrique il n'en demeure pas moins qu'elles sont d'une puissance qui frappe l'esprit. Qu'on soit d'accord ou non. Qu'on ait été, j'imagine, un de ses contemporains ou un lecteur du XXIème siècle.

Un bon livre c'est un livre qui marque, qui pose le germe d'une réflexion bon gré mal gré chez le lecteur, l'influence et tend a le faire progresser... Ici on a assurément affaire à un bon livre. Comme bien souvent chez Hugo d'ailleurs (d'après moi en tout cas).