Ma vie avec Clint
Clint est octogénaire. Je suis Clint depuis 1976. Ne souriez pas, notre langue, dont les puristes vantent l’inestimable précision, peut prêter à confusion. Je ne prétends pas être Clint, mais...
le 14 oct. 2016
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Des siècles durant, Raphaël fut considéré comme le plus grand peintre de la Renaissance. Depuis, son étoile a pâli, supplantée par le génie universel de Léonard de Vinci et la renommée du sculpteur Michel-Ange, créateur adulé des fresques de la chapelle Sixtine.
Raphaël est un homme pressé. En moins de vingt ans, il visite ses maîtres, les étudie, s’en imprègne, puis les dépasse. Il renouvelle le portrait, la peinture d’église, les fresques… Si on lui connait de nombreuses madones, il varie positions, situations, regards, jamais il ne se répète, toujours il nous surprend. J’avoue ma fascination pour les Stanze (chambres) de Jules II. Quelques mots sur le contexte politique :
• Pape de 1503 à 1513, Jules II est un diplomate retors et un redoutable boxeur, vainqueur par KO des Borgia, des Vénitiens et des Français, un palmarès inégalé. Il réunit l’Europe catholique contre les Français.
• Les rois de France aiment l’Italie à la folie, au point d’y mener onze guerres de 1494 à 1559. Le prétexte est mince : recouvrir l’héritage de la maison d’Anjou, chassée de Naples en 1442 ! Une allégation passablement périmée, à laquelle s’ajoutera une revendication opportuniste sur le riche duché de Milan. La guerre est belle au soleil... Le jeune neveu de François Ier, Gaston de Foix (23 ans), entre dans l’Histoire en moins de trois mois : il pétrifie les coalisés, puis les écrase à Ravenne (1512). Alors qu’il a vaincu, il lance un ultime assaut contre une formation de piquiers espagnols, mal lui en a pris, il est vigoureusement reçu, son cheval est tué et il tombe percé de dix-huit coups. À la fureur de Jules II, le cardinal légat Jean de Médicis est capturé. Il parviendra à s’échapper, nous le retrouverons. La papauté est humiliée et menacée. Raphaël est prié de remonter le moral des troupes, c’est l’objet de la Chambre d’Héliodore.
Le programme est militant : rappeler la protection miraculeuse accordée par Dieu à l'Église. En quatre temps : La rencontre d’Attila et de Léon le grand, La messe de Bolsène et son miracle eucharistique, Héliodore chassé du temple avec un Jules II représenté au premier plan. Arrêtons-nous sur la dernière fresque : La délivrance de saint Pierre. L'Église y est violentée dans la personne du premier pape. Si Jules II n’apparaît pas, nul n’ignore qu’il fut le cardinal titulaire de l’église de Saint-Pierre-aux-Liens ; on y vénère les chaines miraculeuses ; il y sera enterré. Entretemps, Jules II est mort. Le thème n’est pas pour déplaire à Léon X, son successeur, le fameux prisonnier de Ravenne : n’a-t-il pas, lui aussi, été guidé par un ange ?
La scène est tirée des Actes des apôtres : « (Hérode) le fit saisir et jeter en prison, le donnant à garder à quatre escouades de quatre soldats ; il voulait le faire comparaître devant le peuple après la Pâque. Tandis que Pierre était ainsi gardé en prison, la prière de l'Église s'élevait pour lui vers Dieu sans relâche. Or la nuit même avant le jour où Hérode devait le faire comparaître, Pierre était endormi entre deux soldats ; deux chaînes le liaient et, devant la porte, des sentinelles gardaient la prison. Soudain, l'ange du Seigneur survint, et le cachot fut inondé de lumière. L'ange frappa Pierre au côté et le fit lever : " Debout ! Vite ! " dit-il. Et les chaînes lui tombèrent des mains. »
Raphaël doit composer avec une difficulté : la présence de la fenêtre. Dans La messe de Bolsène, il a placé l’autel en hauteur, reléguant Léon X et ses soldats dans l’ombre. Il s’interdit de reprendre la disposition. Il conçoit un triptyque, une seule histoire en trois temps, mais un seul lieu. Au centre, Pierre est réveillé par l’ange, la scène est vue au travers d’une forte grille, qui accentue le contraste entre le duo et les spectateurs. A droite, ils s’échappent en descendant l’escalier au milieu des gardiens assoupis. A gauche, le piquet de garde s’éveille, sidéré par la lueur qui s’éloigne. Raphaël confronte la lumière céleste de l’ange à la robe rose orangé nimbée dans une mandorle dorée, à celles de l’aube, de la lune, des torches et de leurs reflets sur les armures métalliques, voire à la lumière naturelle qui pénètre par la fenêtre béante, créant des effets surprenants et changeants. Le trompe l’œil est saisissant. Nous assistons au miracle, pétrifiés, tels les malheureux soldats promis à l’exécution. La prière des fidèles a vaincu Hérode… mais aussi, divine surprise, l’odieux François Ier à Novare (1513).
Incidemment, avant Caravage, avant La Ronde de nuit de Rembrandt ou le Tres de Mayo de Goya, Raphaël réalise le premier clair-obscur parfait de l’histoire de l’art… pour venger Jules.
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le 10 juil. 2017
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