Le sujet est assurément magnifique : il parle tout simplement du coeur, au sens propre et figuré, dans toutes ses situations et dans toutes ses définitions, cet organe fascinant, ce morceau de vie quasi miraculeux, cette préciosité, ce coeur palpitant, centre du corps humain et de l'humanité.

Le sujet est terrible aussi : un jeune homme tombe dans le coma suite à un accident de surf et ne se réveillera jamais. Restent alors deux options pour ses malheureux parents : abréger ses souffrances et donner ses organes ou le laisser là, respirer simplement dans une chambre blanche, sans âme. Le roman retrace le parcours psychologique de cette mère qui va décider de donner les organes de son fils, pour que son coeur aille dans la poitrine d'une autre. Il décrit aussi ce monde secret et ritualisé de la chirurgie cardiaque, des transplantations, des greffes, de tous ces médecins, spécialistes, acteurs des blocs opératoires, à la fois techniciens hors pair et hommes pleins de sentiments. Ce monde secret, souvent méconnu, terriblement angoissant, ce monde en somme morbide, déshumanisé, stérile, qui, laisse pourtant entrevoir toute la puissance des gestes, l'importance capitale de ces actes médicaux et la beauté de ces dons, de ces opérations.

Les destins s'entrecroisent, à un rythme à la fois très lent et très enlevé, fait de longues phrases hachées et d'apartés. Le temps, dans le roman de Maylis de Kerangal est extraordinairement dilaté. Au fond, l'opération (prélèvement - transfert - transplantation) se déroule en quelques heures, logique, mais, au travers de son style méticuleux et touffu, l'écrivaine semble vouloir décrire la frénésie, l'ébullition qui se déroule dans la tête de tous ses personnages, utilisant flashback, pensées, descriptions aussi bien médicales que poétiques (et c'est en cela que le coeur est un sujet abordé dans toute ses dimensions) décrivant ainsi la tension, l'enjeu énorme, alenti, pesé, lourd. L'émotion est là, le roman est prenant, tellement le coeur est un sujet fort, immense, colossale et magnifique. C'est triste et splendide à la fois. Je trouve parfois que le style est un peu trop ampoulé mais il sert parfaitement son objet et est tout à fait justifié.

Vraiment content de pouvoir lire encore des bouquins de cette trempe aujourd'hui, preuve qu'une génération talentueuse d'écrivains francophones émerge. Un très bon livre, poignant et fort.

Tom_Ab
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le 4 janv. 2015

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