Avis de "Retour à Reims" de Didier Eribon.

J'avais entendu parler de ses réflexions sur la question gay il y a quelques années de cela lorsque j'étais au lycée notamment mais sans jamais m’intéresser réellement à cet auteur rémois. Mieux vaut tard que jamais, récemment des amis m'ont offert "Retour à Reims" après qu'ils aient entendu une émission sur France Culture sur Monsieur Eribon. Ils se sont dit que l'ouvrage pourrait me plaire et sont tombés juste. J'entame ma lecture et découvre au fil des pages l'histoire d'un homme d'abord enfant qui n'a eu de cesse de rejeter ses origines socio-familiales. Il nous présente sa famille, son père, ouvrier, sa mère, femme de ménage, puis ses frères qui lui serviront d'anti-modèles. Il décrit, avec franchise, les contextes historique, social, économique et politique de l'époque de sa jeunesse. Grâce à ses descriptions je pénètre dans ces quartiers que j'ai moi-même connus et dans ces rues qui me sont familières. Je tourne les pages et me plonge encore davantage de mes propres souvenirs d'enfance et d'adolescence.
"Retour à Reims" est le bilan personnel d'un parcours de vie fait de luttes et d'ambitions. Vivre ou survivre dans un milieu pauvre, ouvrier et difficile quand on est un homosexuel en quête de connaissances. Il y a tout un discours sur la notion de destinée. Sommes-nous ou non décisionnaire de notre propre vie ? Est-elle dictée par nos racines ? La société ? La politique ? Est-ce une fatalité ? Doit-on resté pauvre quand on naît dans une famille pauvre ? A-t-on accès à l'éducation quand personne autour de vous n'en a la possibilité ni l'envie ?
Si l'on en juge au parcours de Didier Eribon, il est évidemment possible de rompre la "tradition" de la pauvreté, elle-même étroitement liée à l'inculture, mais sous certaines conditions. Ces conditions se sont les choix à prendre. Celui de fuir pour s'émanciper, fuir pour vivre entouré de ses "semblables", d'intellectuels surtout. Fuir pour ne plus avoir honte, pour se déraciner, pour se rééduquer. Fuir aussi pour ne pas sombrer de la schizophrénie et ne plus osciller entre deux milieux, entre deux cultures opposées, incompatibles. Ce sont ces décisions qui donnent l'impression que chacun est maître de son propre destin. C'est d'ailleurs pour ces raisons que l'auteur nous annonce qu'il est parti vers l'âge de 20 ans, de Reims pour Paris, il l'explique et le justifie. Il nous explique également pourquoi ce retour, pourquoi ce besoin vital de revenir sur un passé qu'il a tenté d'effacer. Cet ouvrage sonne comme une introspection. Comprendre... toujours comprendre. Il est captivant, enrichissant, touchant et brillamment écrit. Il est intéressant aussi, car il suscite chez le lecteur un certain nombre de débats intérieurs qui l'animent et le font vivre dans sa lecture. Toutes les réflexions posées et approfondies par D.Eribon forment des dialogues vivants entre l'auteur et le receveur, le livre n'en est finalement que le moyen matériel. L'écriture est fluide et les chapitres s’enchaînent via de bonnes transitions cohérentes. Bémol peut être pour le passage, un peu long à mon gout, sur le Front National dont l'insertion dans le récit me parait légèrement laborieuse (moins évidente).