Le dernier livre de Delphine de Vigan a reçu l’année dernière pas moins de trois prix littéraires – celui de la FNAC, celui de France-Télévisions et le Renaudot des lycéens – et pourtant, je n’ai pas l’intention de le finir. Suis-je stupide, trop jeune ou sans cœur pour ne pas avoir réussi à découvrir ce que ce roman avait de remarquable ? Je suis tout simplement exigeant et je suis assez fier aujourd’hui de m’apercevoir – grâce à ce livre et au dernier Pennac que j’avais précédemment critiqué – qu’un instinct s’est formé en moi qui se hérisse à chaque livre dans lequel l’écriture n’est qu’un outil pauvre passé de mains en mains avant de tomber dans celles de l’écrivain pour faire dégorger sa plume avec ses états d’âme.

Car dans ce livre, du moins jusqu’à la page 208, la plus belle chose est le titre : Rien en s’oppose à la nuit qui n’est qu’une reprise d’un vers de Bashung dans Osez, Joséphine. Déjà, qu’un écrivain choisisse le titre de son livre dans les paroles d’un autre sans que son livre ait un quelconque rapport avec l’ambiance de l’autre, je trouve ça à la limite de la publicité mensongère, mais qu’en plus on prenne une phrase aussi belle pour en faire à la fin un objet sans aucun relief, ni même véritable émotion partagée, je trouve ça juste grotesque.

Le livre est une reconstitution de la vie de la mère de la narratrice par la narratrice. Le schéma est simpliste : un chapitre sur la mère suivi par un chapitre où la narratrice parle d’elle-même et de ses difficultés d’écriture. Et là, tous les clichés y passent : ah la la, je suis tellement malheureuse que je ne dis rien de ma souffrance, je la laisse deviner par des sous-entendus toujours en fin de paragraphe. Je suis tellement triste que les zones de douleur dans ma mémoire doivent être réduites à un simple avant ou après (la catastrophe devez-vous comprendre), en italiques bien sûr ! Ah mon dieu je ne veux pas écrire ce livre, je ne sais pas si je vais réussir à le finir tellement il me détruit, qui suis-je pour oser décrire des êtres que je n’ai connus qu’à la fin de leur vie ? D’ailleurs les connaissais-je vraiment ?

Tout est comme ça ! La narratrice passe son temps à s’écrire à elle-même (car lorsqu’on est triste on est autorisé à se parler à soi-même et à dire des platitudes certainement) pour dire à quel point elle est nulle car elle n’a pas réussi dans le chapitre précédent à retranscrire l’atmosphère qui régnait dans sa famille à telle époque. Il faut prendre son lecteur pour un sacré con pour ne même pas avoir le courage d’assumer ses failles d’écriture et le laisser combler les trous en ajoutant à chaque fois : « Oh je m’aperçois que j’ai oublié de dire que tel personnage était en fait atteint de bipolarité : il faut le rajouter au portrait que j’en ai dressé » ou des choses comme ça. En fait, de pages en pages, on a l’impression de lire les brouillons d’une quarantenaire qui est très triste d’avoir perdu sa mère mais qui n’aurait pas eu le courage de tout jeter à la fin en se rendant compte que ce qu’elle a écrit n’a aucun intérêt et a été écrit mille fois.

Ce qui m’énerve le plus dans ce livre est sa perpétuelle justification par des phrases qui avouent son absolue vacuité : « je sais que des grands écrivains bien plus doués que moi ont écrit sur le deuil mais je vais quand même faire mon truc à moi parce que j’en ai envie ». C’est cette manière de ne s’adresser qu’à la sensiblerie des gens et non à leur intelligence ou à leur sens esthétique qui me dégoûte car elle révèle ce qui est la pire dictature de notre époque : la sentimentalité.

Un exemple parmi mille autres : la narratrice appelle son compagnon « l’homme que j’aime » périphrase mièvre digne d’une adolescente attardée qui veut jouer à l’adulte. Bien évidemment, il y a un autre homme qui n’est que « le père de mes enfants ». Ridicule.

Enfin, touche finale à ce tableau flatteur, il faut ajouter que la narratrice a l’impression d’avoir vécu dans une famille extraordinaire des années 50, grâce à un taux de morts infantiles et de suicides hors-du-commun. Tout y passe : l’enfant qui tombe dans un puits en vacances, celui qui est adopté et qui s’étouffe avec un sac en plastique dans un jeu de masturbation sadique digne du foulard, nudisme assumé des parents, etc. On a l’impression de lire un florilège des rubriques nécrologiques parues dans la presse régionale des quarante dernières années. Elle parle sans cesse de la « mythologie » de sa famille faite à partir d’anecdotes aux versions différentes – qu’on dirait toutes filmées en super 8 – mais se complait sans cesse à y revenir, insister sur le caractère de son grand-père, sur le grand écart que sa grand-mère a réalisé à soixante-dix ans, etc. Honnêtement, si j’avais envie de m’infuser ce genre de souvenirs sans intérêt, je regarderais les propres albums photos de ma grand-mère. Une fois de plus, l’écrivain se contente de jouer sur des références communes (la 304 pour aller en vacances sur la Costa Brava, etc.) sans en tirer quoi que ce soit d’original ou même d’intéressant.

Et enfin, pour achever de vous prouver que la lecture de ce livre est toxique, j’insisterai sur ce détail qui me paraît révélateur : la narratrice cite à chaque fois le support qu’elle a utilisé pour écrire, faire des recherches, etc. Cela donne des débuts de phrases comme ça : « Dans le fichier Word ou je me suis arrêté à la page 105 (miracle c’est le même page dans le livre qu’on tient dans les mains !), » ou encore : « Sur les vieilles bandes de super 8 que j’ai converti en VHS, » etc. Rien ne nous est épargné, pas même les recherches sur un documentaire qui aurait été tourné par l’ORTF sur sa famille pour lequel elle a fini par réussir à se procurer – grâce à des connaissances – des mots de passe qui lui permettent d’entrer sur le site de l’I.N.A. sans payer. Je ne sais pas si c’est une démarche faite pour créer une espèce d’effet de réel (car même si l’histoire était vraie elle n’est pas vraisemblable pour un cent) mais je ne peux m’empêcher d’y voir un tic journalistique qui résume bien l’idée que je me fais de Delphine de Vigan : une enveloppe sentimentale avec juste ce qu’il faut de provoc et de souvenirs communs entourant un énorme vide. Un livre dans l’air du temps, sans aucune profondeur littéraire ni même historique ou sociale, un simple ressenti qui cache juste un peu mieux que Marc Lévy la pauvreté de la palette des sentiments et des réflexions qu’il compte faire utiliser à ses lecteurs.

Je rappelle au passage que Lambeaux de Charles Juliet a exactement le même objectif puisqu’il raconte la vie de la mère du narrateur et qu’il y réussit d’une manière bouleversante, dans une écriture fantastique
Ikkikuma
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le 23 juin 2013

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