On connaissait le fameux clivage entre récit et roman national qui oppose d'un côté les tenants d'une version idéalisée et fédératrice de l'Histoire derrière la Nation, et les tenants d'une Histoire académique, scientifique et désincarnée, toute faite d'exactitudes. Jean Raspail, dans la préface de Rois et reines de France, ressuscite un autre clivage qui s'applique tant à l'Histoire qu'à la politique: celle entre le sacré et le profane. S'il commence par déplorer le manque profond de transcendance de nos pouvoirs politiques exécutifs actuels, en ne tarissant pas d'éloges sur ces anciens Souverains de droit divin, et de grâce divine, il ouvre un livre "historique", souvent romantique, qui retrace l'histoire des Rois & Reines de France, notamment des Capétiens, des Valois et des Bourbons, écrit par Elisabeth Kirchhoff. Jean Raspail ne s'arrête pas là et se montre très laudatif à propos des monarchies européennes actuelles : le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas, la Scandinavie, etc ... L'homme livre également des pensées intéressantes à l'égard de la Monarchie, et il explique son succès non pas par le rôle de la tradition, du folklore ou autres poncifs habituels, mais par la liaison entre le Roi et Dieu. C'est intéresse et l'on connaît bien cet argument digne de l'Action Française. Plusieurs arguments peuvent être néanmoins opposés à Jean Raspail : d'abord, les Souverains qu'il admire particulièrement ont été parfois des ectoplasmes dignes d'un François Hollande comme les Rois Fainéants, les derniers Carolingiens, ou certains Rois Capétiens tels François II ou Charles IX. D'autres encore avaient plus à cœur leur patrimoine personnel (ou affaires personnelles ... ) qu'un quelconque bien commun ou spiritualité catholique. Il y eut certes de grands Rois, parfois favorisant la grandeur de la France (Philippe Le Bel), parfois favorisant le bonheur de ses sujets (Robert le Pieux), parfois les deux (Saint Louis), mais ils demeurent rares et ne sont pas toujours exempts de tout crime. Même, aux vues de la Présidence Actuelle, et des nombreuses guerres civiles qu'a subi la France pendant la Monarchie, il n'est même pas dit qu'il y ait eu un réel changement dans le spiritualisme français en 1789, si tenté qu'il existe un spiritualisme français. Cette préface très militante laisse présager à raison un livre idéalisant et très chrétien, parfois historiquement branlant, qui n'est cependant pas dénué de toute information et de tout intérêt.


Ainsi donc, Elisabeth Kirchhoff énumère chaque Roi, en fait la biographie, en brosse le portrait, en dit les faits marquants et en décrit les enjeux de son règne. Cette dernière fait de même avec les Reines de France, mal connues et souvent fascinantes par l'énorme pouvoir qu'elles avaient, pas toujours bien perçu par l'auteur qui assassine en règle Constance d'Arles, Isabeau de Bavière, Catherine de Médicis ou même Marie de Médicis, et qui fait dans le même temps un éloge de Reines très chrétiennes comme Marguerite de Provence ou Blanche de Castille, etc ... Ces femmes, souvent victimes, faisant pont et planche, ont parfois incarné le pouvoir avec grande habilité, sachant faire preuve d'autorité et même de cruauté. Si certains doutaient encore que la femme pouvait exercer le plus haut pouvoir, ce livre (pourtant pas spécialement féministe) le démontre aisément. Le livre tourne vite en rond, même s'il rappelle partiellement et partialement quelques faits historiques peu étudiés. Cependant, quelques faits historiques sont désuets, contestés et parfois omis. De la même manière, le sort fait aux Mérovingiens, fondateurs du pouvoir politique royal français, est assez tragique. Ceux-ci sont à peine traités, et l'auteure ne remet pas en cause le préjugé de violence (le taux de mort violente à cette époque est de 5%, contre 1.2% aujourd'hui, 10% au XVème siècle, et 12% au Salvador actuellement), le préjugé de non commercialité (alors que les échanges sur la côte Atlantique avec les Celtes d'Irlande sont grands), le préjugé de barbarisme à outrance (alors que ces Rois étaient baignés de culture romaine et chrétienne), etc ... Rois et Reines de France est donc un livre sentant la naphtaline, sans doute empli de bons sentiments, mais sacrifié sur l'autel du sacré. Ce n'est assurément pas un livre historique.


En revanche, le livre a le mérite de rappeler quelques enjeux de notre Nation qui ne sont pas ou plus ou mal appris à l'école, sans doute influencée par l'idéologie républicaine. Même fervent républicain et laïc comme je le suis, je dois reconnaître que le sort fait aux Rois dans notre historiographie académique est au mieux injuste, au pire gangrené par la propagande. D'abord, le rapport au Saint Empire Romain Germanique, que nous avons fait et détruit (du Traité de Verdun à la Guerre de Trente Ans), est particulièrement intéressant. Ensuite, la relation très intime et contrariée avec le Royaume d'Angleterre montre l'incroyable gémellité entre ces deux Nations qu'on présente si éloignées, et qui se sont en fait éloignées au fil du temps. Les Guerres d'Italie ont également été oubliées, notamment à propos de la question des possessions françaises sur le territoire de Sicile, si mal connues à ce jour. Finalement, pour conclure, ce sont surtout les guerres entre les Catholiques et les Protestants qui ont influencé, je pense, à égalité avec la Révolution Française, les obsessions actuelles de la République, notamment en ce qui s'agit de l'économie (entre libéralisme protestant et catholicisme socialiste), des mœurs (ouverture d'esprit catholique et puritanisme protestant) et du pouvoir politique (individualisme protestant et corporatisme catholique). Rois et Reines de France est donc une bonne introduction pour se plonger par la suite dans des livres plus poussés, et ouvrir des perspectives oubliées sur notre pays, que l'on ne connaît définitivement plus vraiment.

PaulStaes
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le 24 sept. 2018

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