Ruy Blas
7.1
Ruy Blas

livre de Victor Hugo (1838)

Ni à lire ni à voir la pièce n’est véritablement désagréable. Il ne lui manque rien, c’est même le contraire : il y en a trop. Ruy Blas est trop bon et trop con. La reine, trop bonne et trop conne. Salluste, trop méchant. César, trop filou. Guritan, trop vieux. Les autres sont moins que des ombres passagères, avec le roi en ombre des ombres. D’ailleurs, Hugo, qui aime souligner, le souligne dans la préface : « dans l’histoire comme dans le drame, Charles II d’Espagne n’est pas une figure, c’est une ombre » (p. 34 en « Folio théâtre »).
Donc, avec des personnages comme ceux-là, – je laisse Charles II de côté pour le moment, – Hugo a cru pouvoir faire de la psychologie. Et pour le coup, l’analyse psychologique n’est pas son point fort. Il a fait le gros du travail une fois qu’il a expliqué, dans la préface, que « Les femmes ont raison de vouloir être émues, les penseurs ont raison de vouloir être enseignés, la foule n’a pas tort de vouloir être amusée » (p. 28 en « Folio théâtre ». Voilà : une femme ne peut pas penser, un penseur est nécessairement solitaire, l’amusement n’est pas une émotion. Tout au long de la pièce, la reine ne cessera pas d’être émue, ni César de s’amuser, ni Salluste – j’adore cette expression ! – d’ourdir sa sinistre vengeance.
Ni, évidemment, Ruy Blas de se lamenter, que ce soit sur l’Espagne qui fout le camp (« L’Espagne et sa vertu, l’Espagne et sa grandeur, / Tout s’en va. », c’est dans la bonne vieille tirade de la scène 2 de l’acte III) ou sur les terribles déboires sentimentaux qui l’accablent. Oui, on n’y fait peut-être pas souvent attention, mais Ruy Blas est un des héros les plus pleurnichards que le romantisme ait produits, ce qui n’est pas peu dire quand on connaît les Madeleines de Goethe, Lamartine ou Musset. « Je ne sais pas. J’ai mal dans la tête. Les hommes / Sont méchants. Vous mourez, personne ne s’émeut. / Je souffre ! – Elle m’aimait ! – Et dire qu’on ne peut / Jamais rien ressaisir d’une chose passée ! – / Je ne la verrai plus ! – Sa main que j’ai pressée, / Sa bouche qui toucha mon front… – Ange adoré ! / Pauvre ange ! – Il faut mourir, mourir désespéré ! », c’est dans le monologue qui ouvre l’acte V, et sous une autre plume que celle de Hugo, je me serais dit que les deux premiers vers sont parodiques. Or, le sens de la dérision de l’auteur des Misérables est à peine plus développé que son sens de la psychologie.
Heureusement quelques touches d’humour viennent contrebalancer cela, que des bons acteurs se feront une joie d’exploiter : César en bouffon inconséquent, Guritan en dindon de la farce, éventuellement Casilda en confidente lubrique. Et aussi « C’est pourquoi, vous trouvant fort beau, fort caressant, / Fort gracieux, fort tendre et fort intéressant, / Il faut que je vous tue » (II, 4). Et puis des vers à la Hugo, aussi aptes à la nuance psychologique – on y revient – qu’une fanfare militaire à accompagner un rendez-vous amoureux. Parce qu’on peut reprocher pas mal de choses à Hugo, ses oxymores et ses antithèses peuvent donner de l’allure aux pièces les plus mal gaulées : « Ruy Blas. Vous n’avez pas de preuve ! / Don Salluste. Et vous pas de mémoire. / […] Vous n’êtes que le gant, et moi, je suis la main » (III, 5), ça claque ! (Oui, dans ma grande bonté, j’ai effacé l’alexandrin du milieu, qui n’était là que pour fournir une rime à « mémoire ».)
À part ça, il y aurait une belle tragédie de la solitude à écrire sur ce qui se passe après le dénouement : Ruy Blas et son double morts – l’un ne pouvait plus aller sans l’autre –, restent que la reine, son roi chasseur de loups par six – et Guritan, son éternel prétendant échassier.

Alcofribas
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le 7 août 2017

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