Qu'écrire après Hugo sur l'art d'être grand-père ? C'est le défi que relève Julien Blaine dans Se constituer vrai/ment grand-père. Je connaissais Blaine par des vidéos, des performances ou des "déclaractions", et pour un poème que nous avions publié dans le deuxième numéro de REVU mais c'est la première fois que je lis un de ses recueils papier. Et je dois bien avouer qu’a priori, ce n’est pas trop ma tasse de thé poétique. Disons plutôt que son travail me laissait plus perplexe qu'enjoué. Mais il est toujours intéressant de se sentir perplexe devant une œuvre. Et il faut se méfier des a priori. Si je partais donc avec quelques appréhensions dans ce recueil, je m'y engouffrais avec une curiosité égale. Remarquons que je n'ai pas choisi ce recueil en particulier, je l'ai simplement chopé à 1€ lors d’une vente de ma médiathèque après désherbage.


Finalement mes craintes furent vite balayées. Par provocation, je dirais en premier lieu que ce qui est bien dans l'écriture de Julien Blaine, ce qu'on ne l'entend pas gueuler. Si je me délecte des jeux de langue et sur la langue (il y a en a un bon exemple dans le film Je rougis de Giney Ayme), je ne comprends pas pourquoi certains poètes se sentent toujours obligés de crier, de vociférer. Au contraire, j'ai aimé lire ce texte à voix feutrée, comme si je lisais un conte à... mes petits-enfants justement (comment ça je suis pas crédible, d’accord c’est difficile d’être grand-père à 28 ans mais c’est une projection!)


Se constituer vrai/ment grand-père est un livre cru, cruel parfois (envers son narrateur surtout), mais toujours tendre (envers les petits-enfants surtout). Visuellement, c'est ludique. La mise en page variée (police, taille, disposition, etc) détonne. On croirait à un fatras mais le thème tient le tout.


La tendresse du grand-père se voit tout de même contrebalancée en fin de route par une réflexion déprimante sur l'inutilité d'être poète (au point que le poète himself nous invite à finalement oublier cette dernière partie comme s'il avait regretté de l'avoir écrite). La scission du vrai/ment du titre prend alors tout son sens. Avec du recul, on remarquera d’ailleurs que le recueil balance constamment entre généalogie affective et mascarade littéraire ; entre grand-père aimant et aquoiboniste attachant.


Pour terminer, voici un extrait assez représentatif:


L'ogre :
ℭhacun le sait,
en tout cas : moi.
L'ogre, c'est le grand-père,
Notre seul désire c'est de manger, de manger nos petits zenfants,
sans les croquer,
sans les mâcher, juste les avaler
Pour être femelle à l'envers
Puis les rendre,
les vomir intacts.
(plus beau et plus intelligent – peut-être – qu'avant la digestion)
Les vomir
pour être femelle à l'endroit
mais par la bouche
pas par le con ;
(le grand-père n'a pas n'est pas nana)
les vomir
tendrement, doucement,
les rendre à la lumière,
dans l’éclaboussure des liquides de mon ventre et de ma bouche,
les remettre dans la vie,
les jeter
pour les voir courir, rire et pleurer
et être.
Les vomir
de l'estomac au palais
après les avoir écoutés et sentis :
➔s➔§, reniflés
ramper dans l’œsophage,
sous la glotte,
dans le palais,
sur la langue,
entre les lèvres et ressortir,
si luisants
protégés de ma salive, de mes jus et de mes sucs :
prêts.

René-Ralf
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le 28 juin 2019

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