Il est pour le moins triste de confirmer à l'usage, l'ensemble des à priori associés à un auteur.


Sérotonine fut pour moi la première rencontre avec Michel Houellebecq. Oh bien sûr, je l'avais déjà vu maintes et maintes fois à la télévision, avec sa mine patibulaire cathodique (ça c'était avant car il se refuse désormais à toutes sorties médiatiques), mouchant non sans une certaine acuité, les travers de notre époque. Cette médiocrité universelle qu'il cinglait donc, ses thèmes de prédilection d'abord listés par les journalistes pour chauffer la courbe de l'audimat, décortiqués ensuite par lui-même, je les ai trouvé dans Sérotonine, À dose de cheval. Exactement comme je le craignais...


Le répertoire des éléments consubstantiels à l'écrivain est complet, tout y est: pédophilie, pornographie, nihilisme contemporain, capitalisme fou, absurdité de la vie, etc... À croire qu'il lui faut donner au public à chaque publication, comme le ferait un politique pour un militant, exactement ce qu'il veut entendre. Mais une fois disséminé ça et là ses pions, que reste-t-il dans le livre ?


Heureusement de nombreuses choses. Ma crainte initiale, confirmée d'ailleurs par un début de récit laborieux et abscons, s'est dissipée lentement mais sûrement vers l'agréable surprise, inhérente à n'importe quel bon bouquin, de se laisser transporter... Cela coïncida avec la bascule pour l'antihéros de Sérotonine, quarantenaire dépressif et écrasé par le poids de la société qu'il n'arrive plus à supporter. Il décide alors de fuir, d'errer au gré de ses pulsions de mort, à la faveur mélancolique du souvenir lointain d'un ami ou d'une fille, fugaces étincelles au soir de l'existence.


Le roman prend des allures de «road-trip» en stade terminal, l'occasion pour le narrateur de revenir sur ses propres moments clés, ses occasions manquées, ses regrets, ses remords et ses vestiges heureux. Ne dit-on pas qu'un condamné avant l'ultime saut dans l'inconnu, voit repasser en une fraction de seconde tous les événement importants de sa vie ? Sérotonine donne cette impression de condensé avant le grand départ. Outre cette mélancolie toute romantique, empruntée certes sans le style à Chateaubriand (qu'il tance dans le livre), Michel Houellebecq ausculte le monde du héros, notre monde. Et notre monde pour l'écrivain, décadent et seulement mu par des spasmes réglés comme une horloge par la modernité- entendez Starbucks, Coca-Cola et envahissement de la société par le secteur tertiaire- constitue une lente, longue, inéluctable litanie vers l'auto-destruction. Michel Houellebecq serait-il davantage sociologue qu'écrivain ? Les deux ne sont pas incompatibles et il est vrai que certains éléments que je ne dévoilerais pas ici prennent avec l'actualité récente une correspondance étrange... L'auteur dans la représentation du réel pousse le curseur toujours plus loin, il brandit un miroir, éclatant sur notre société, d'une honnêteté imparable sur nos imperfections,



Les gens fabriquent eux-mêmes le mécanisme de leur malheur, ils
remontent la clef à bloc et ensuite le mécanisme continue de tourner,
inéluctablement, avec quelques ratés, quelques faiblesses lorsque la
maladie s’en mêle, mais il continue de tourner jusqu’à la fin, jusqu’à
la dernière seconde.



Malgré cette noirceur, il serait faux de ne voir en Sérotonine qu'un plaidoyer pour l'agonie. Car en filigrane du livre, apparaît une espérance bien réelle. On sent l'auteur regretter l'absence de spiritualité- probablement chrétienne- dans la modernité, et comme la nature a horreur du vide, il n'hésite jamais à épingler l'explosion des revendications et autres petites foi individualistes qui ont remplacé la transcendance catholique de l'occident. Si la question de dieu a été évacuée depuis longtemps, les dégâts nourris par son absence semblent être pour lui innumérables... Et lorsque la fin arrive, une dimension «christique», osons le mot, béni soudain les mots de l'écrivain... Étonnant.


Les plus réfractaires diront que Michel Houellebecq nous ressort son habituelle ritournelle, qu'il se complaît dans la fange de ses idées et dans son coté rebellocrate qui pour choquer le bourgeois use et abuse de «bite» «chatte» et autres joyeusetés anatomiques. On peut l'entendre, il repompe sans doute les gimmicks de ces précédents romans en y ajoutant ce qu'il faut d'assaisonnement nouveau pour convaincre public et critique. N'ayant pas la perspective du panorama complet de sa bibliographie, je ne peux en juger. Mais cette attaque revient souvent, il serait malhonnête de ne pas le souligner...


Reste que Sérotonine, passé la déception de tomber sur la rengaine redoutée, emmène habilement le lecteur sur son terrain, entre "rural-trip" et étages d'immeubles.
Oh pas loin, tout près d'ici, à quelques rues, au bas de chez toi, dans ta maison ou dans ton appartement, dans ton poste de télévision et sur l'écran de ton portable, dans ton lit et sous ton caleçon... Dans ta propre introspection.

Liverbird
7
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le 19 févr. 2019

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Liverbird

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