Pour ceux et celles qui ne connaîtraient pas la collection dont fait parti ce livre, il s'agit de la collection "Tabou" aux éditions De Mortagne, une série québecoise de livres en un seul tome, menée par plusieurs auteurs et autrices. Elle est destinée aux adolescent(e)s et jeunes adultes, sur des sujets qui les touchent directement, mais qui peuvent être très sensibles, tels que les maladies mentales, les divers formes de violences et abus, les enjeux familiaux, amicaux et amoureux, ainsi que les orientations et identités sexuelles ( LGBTQIA+).

Dans ce tome-ci, soit le #59 de la série, nous abordons à travers l'histoire fictive de Noam l'agression sexuelle vécue par un garçon, plus spécifiquement par un agresseur de sexe féminin. Un sujet qui fait écho au mouvement MeToo, qui dénonce les abus sexuels.

Pour la version courte de ma critique: je dirais que c'est un roman complet, pertinent, à large spectre sur son sujet, qui soulève des réalités et mentalités bien réelles, soutenu par une rigueur psychologique crédible, des personnages attachants et au final, porteur d'espoir. Le tout reste sobre, même s'il y a beaucoup d'éléments et plusieurs histoires qui se croisent, ce qui ajoute au drame. Il y a présence de contenu sensible, cru et parfois perturbant, mais en même temps, c'est un peu l'objectif, histoire d'éveiller les consciences et informer. Un bon roman pour s'initier à cette réalité sociale encore très mal comprise, parce que ternie par des stéréotypes tenaces, des mentalités étriquées et une mauvaise conception des rapports de genre, surtout quand il s'agit des formes de violences.

Version exhaustive: ( Parce que les bons romans méritent des critiques étoffées)

Noam Williams a 17 ans, il est en dernière année de l'école secondaire et est un enfant d'un couple divorcé qui se sent délaissé par son père, qui a fondé une nouvelle famille. Noam a un tempérament calme, est du genre introverti, n'a qu'un seul ami qui se sert de lui qu'en cas de dernier recours, aime les jeux vidéos PC et ne sait pas trop, comme bien des jeunes, ce qu'il va faire comme métier plus tard. Bref, un ado qui n'est pas au sommet de sa forme côté estime personnelle. De plus, il sent la pression de la part de Maxime sur le plan sexuel: ". les gars de son âge ont intérêt à avoir passé à l'acte", dirait-on. Son "ami" Maxime est à peu près tout son contraire et réussi à convaincre Noam de venir - pour une fois - à l'un des partys de Sébastien Vaillard, un jeune homme populaire de leur école - et accessoirement l'archétype du parfait couillon. Sur place, Noam se laisse convaincre de jouer au beer bong, ce qui lui fait boire un peu plus que de raison et comble de chance, il arrive même à passer du temps avec Judith Hamel, LA plus belle fille de l'école. Ce que Noam ignore, c'est que la belle Judith a des plans le concernant et ce qu'elle veut n'a rien à voir avec ce qu'il désire, lui. Pour Noam, la première relation sexuelle a quelque chose de sacré et de profondément intime. Pour Judith, "c'est juste du cul". Le jeune homme se retrouve alors dans une situation inconfortable qui va tourner au drame: Judith l'agresse - je vous épargne les détails. Arrivé chez lui, son état de détresse convainc sa mère de l’emmener au poste de Police pour porter plainte. On a tôt fait de l'envoyer aux urgences pour récolter des preuves, également. Pour Noam, c'est le début d'un long et difficile processus de guérison, qui se fera à travers le mépris collectif qu'en au fait que "ça ne se viol pas un homme" parce que "ça peut se défendre", une metalité qu'avait d'ailleurs son propre père, au début de cette histoire. Il sera victime d'insultes, de moqueries, on lui fera même douter de son orientation sexuelle et son bref retours à l'école sera bien amer: Judith a su gagner un capital de sympathie grâce à son statut et aux gars qu'elle a comme sbires de service. Elle ne comprend pas du tout la porté de son geste. Néanmoins, elle saura s'enfoncer elle-même en raison de son piètre jugement et de sa mentalité , lors d'une entrevue avec une sexologue, au bulletin de nouvelles. Entretemps, Noam reçoit l’appui de Camille, une élève avec qui il a fait sa scolarité, elle-même victime d'agression sexuelle, et c'est elle qui le mènera au groupe de soutient Anti-Dégénerescence. Ce groupe de soutient est composé de femmes , mais aussi d'hommes victimes d'abus sexuels. Il rencontrera notamment Gaël, qui a été la victime d'un de ses ex-conjoints, dont l'agression n'a jamais été punie, faute de plainte et faute de preuves. Gaël et Camille constitueront les garde-fous de Noam. Sa famille devra s'unir également pour lui venir en aide, spécialement quand un secret de famille vient tout chambouler et qui a aussi un lien avec les agressions faites sur les hommes. Ultimement, Noam espère que le procès contre Judith l'aidera à faire entendre sa cause, qui est devenue, d'une certaine manière, celle de plusieurs hommes laissés dans l'ombre.



Ouf! Je ne vais pas vous cacher que c'était aussi intéressant qu'éprouvant cette lecture. Déjà, c'est toujours difficile quand il s'agit d'agressions et de justice défaillante, mais ici s'ajoute le spectre encore trop présent des stéréotypes de genre, qui ont la vie dure. On oublie encore trop souvent que les enjeux sociaux à majorité féminine n'empêchent nullement la présence des garçons. On comprend encore très mal que le viol n'est pas juste une histoire de rapport de force physique et de pénétration. On oublie et on mésestime l'importance des sévices que peuvent subir les hommes, encouragés au silence par une société patriarcale de part trop campée sur ses vieux modèles de genre. "Un gars, c'est "tought", et quand ça bande, ben ça veut dire qu'il a du fun!". Ish. On a encore du progrès à faire en tant que société.



C'est donc un sacré plaisir de voir ce sujet arriver sur les tablettes jeunesse, parole de libraire! On oublie - oui, on OUBLIE, je me répète - que c'est par la jeunesse, nos plus ouverts d'esprit et potentiellement éducables citoyens, que passent les changements sociaux les plus marqués. C'est donc toujours important de permettre la circulation des enjeux sociaux dans la littérature jeunesse, même les plus "corsés". Surtout les plus corsés qui les concernent directement, j'ose dire.

Je ne vais pas vous le cacher, ce roman est dur, particulièrement au début, parce que Noam est un personnage en double souffrance: celle d'être la victime et celle de ne pas être prit au sérieux - sauf par sa mère et par les divers intervenants. Mais au final, c'est tout-de-même un scénario "positif", dans plusieurs angles. La mobilisation autours de lui, pour commencer, de sa famille, de deux membres de soutient, de son avocate, de la direction de l'école et plus tard, d'une portion de citoyens. En outre, j'aime la présence de la sexologue, même brève, qui a des choses très intéressantes à formuler et qui mettent à mal des stéréotypes tenaces - et dommageables. Ensuite, Noam amorce lentement sa guérison, on voit les diverses phases, d'ailleurs. Et sans trop divulgâcher, disons que Noam s'en sort très bien, pas de la manière escompté, qui se révèle plutôt en accord avec la réalité, malheureusement, mais tout-de-même, on a un final rempli d'espoir et de projets.



J'ai été touché par les efforts de sa famille, du progrès réalisé par son père très "macho", du courage et de la volonté des deux personnages également victimes, Gaël et Camille. De très beaux personnages de soutient et - dans la vraie vie - ce qu'on appel des facteurs de résilience, des éléments qui favorisent la guérison et renforcent l'espoir.



J'ai beaucoup apprécié la proximité et le réalisme psychologique du personnage de Noam, mais aussi celle de ses parents, notamment sa mère. C'est important, je pense, dans ce genre de roman, de tabler sur le ressenti, sans tomber non plus dans le psychodrame - comme le font trop souvent les auteurs des états-unis- car plus que l'on pense, l'agression physique ne fait pas moins de dégâts que l'état psychologique et mental - dans le cas de Noam, bien sur. On ressens bien son choc, sa détresse et son désarrois qui se traduisent aussi bien en comportements, qu'en pensées et en réactions physiologiques. J'imagine bien l'autrice avoir fait des recherches, c'est très précis. On navigue donc aussi sur le spectre de la dépression ou de l'ESPT ( État de choc post-traumatique). On voit que subir une agression provoque des dégâts psychiques longs à guérir et qui nécessite la batterie de spécialistes requise: psychologues, travailleurs sociaux, groupes de soutient, médecins et autres intervenants. Hélas, et le roman l’illustre, le Québec souffre d'un manque de financement gouvernemental chronique quand il s'agit de santé mentale, ce qui laisse donc bon nombre de gens dans leur état de détresse - peu importe la cause. J'apprécie que cet élément ait été relevé, car il est vrai et c'est honteux. Enfin, j'apprécie la dimension des réseaux sociaux, vecteurs de diffamation autant que de support social, qui ont aussi leur importance dans l'histoire.



Côté écriture, sans dire que c'est poétique, c'est efficace et précis. Je l'ai littéralement dévoré. Comme ce roman est destiné aux vieux ados et jeunes adultes, on notera la présence de jurons ( des "sacres" surtout), des termes crues - on ne censure pas. Et oui, les personnages adolescents, surtout les "populaires", n'ont pas un français très élégant. Pour nos amis européens, oui, c'est en québecois, mais rien d'insurmontable, à mon humble avis. L'oral n'est donc pas toujours très distingué. En revanche, les adultes et les descriptions ont presque tous un français plus international. Donc, une écriture qui sert très bien son sujet et qui est addictive.



Je sors de cette lecture assez convaincu. Il faut dire que ce sujet n'est pas juste rare: c'est un tabou dans un tabou, en quelque sorte. C'est étonnamment crédible, c'est également inclusif: on a l'histoire de d'autres personnages qui s'y greffe, des enjeux plus "macrologique", en ce sens où on part de Noam vers le système en lui-même, à plus large échelle. L'histoire de Noam fait tremplin sur une réalité plus large, en somme, qui traduit des mentalités étriqués, des mythes biologiques, la faiblesse du système de santé mental, la mécompréhension d'un enjeu social et les rapports entre les générations. Oui, franchement, c'est fort bien tout ça! Ça soulève pleins de débats et de questions, ça serait presque chouette de le voir dans les cours de sexualité. Et petit détail à ajouter, l'image de couverture sert aussi bien son roman avec ce jeune homme aux yeux clairs et tristes, porte-parole malgré lui d'une cause.



Un bon roman pour s'ouvrir à ce sujet particulièrement tabou, en attendant qu'il y en ait d'autres, on se le souhaite. Vous noterez également la présence des numéros de téléphone et sites d'aide et soutient aux victimes de crimes sexuels, de dépression ou de support psychologique plus général, au Québec, mais aussi en France!



Puisque qu'il a une scène d'agression, des termes crus et des jurons, de la violence sous diverses formes et des scènes sexuellement explicites, ce roman a été classé en Jeune Adulte ( 17 ans+) pour lecture solo, mais si la lecture est accompagnée par des profs, intervenants ou même les parents, ça peut aussi convenir aux ados de 15-16 ans du second cycle secondaire. C'est le genre de roman où il est bon de faire des retours de lecture.

Shaynning

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